Nous vivons aujourd’hui dans un monde glocalisé, c’est-à-dire un monde où le
global devient local et le local devient global. Aliis verbis, le monde dans
lequel nous vivons éloigne le proche et rapproche le lointain. Le local
s’adapte au global. Nous sommes dans une société marquée par la dialectique du
local et du global. Dans cette « exercice de glocalisation », le rôle
joué par les NTIC est, à n’en point douter, prépodérant. On peut voir
l’histoire de la communication en différentes étapes : langage, écriture,
imprimerie (Gutenberg en 1450), téléphone (Graham Bell en 1876), radio
(Guglielmo Marconi en 1899), télévision, les multi-média (ex. cinéma) et
maintenant les NTIC (Internet, portable, réseaux sociaux). L’imprimerie est
venue accélerer l’histoire de la communication. Les NTIC sont devenues des moyens
pour accroître les échanges, les flux d’informations et les intéractions
sociales et pourquoi pas les flux financiers (par exemple avec le e-commerce,
e-banking). On pourrait dire que la communication à distance
(télécommunication) rend obsolète les communications plus socialisées (les communications
interpersonnelles traditionnelles). Nous sommes dans une société numérique, une
société de l’information, une société en réseaux ; c’est l’affirmation de
l’homo numericus.
Par Technologies de l’information et de
la communication, on entend l’ensemble d’outils, services et techniques servant
à la création, l’enregistrement, le traitement et la transmission des
informations ; tandis que par Nouvelles technologies de l’information et
de la communication, on désigne les outils nés du rapprochement de
l’informatique, des télécommunications et de l’audiovisuel (les smartphones,
les micro-ordinateurs, les tablettes, les Cloud, etc.). La technologie est le
moyen tandis que le traitement de l’information et la communication est
l’objectif.
Mais pourquoi Technologies de
l’information et de la communication ? Un seul terme ne suffit-il pas ?
Karine PHILIPPE nous dit que les termes information
et communication connaissent
certains flottements. « Dans le sillage de la cybernétique, la théorie de
l’information relève de la statistique. Dans l’étude des relations
interpersonnelles, la communication implique une certaine réciprocité dans les
échanges, là où l’information émise ou reçue, semble plus univoque »[1]. En
se référant à Daniel Bougnoux, Karine Philippe considère l’information comme un
contenu et la communication comme un contenant, une relation. L’information a
besoin de la communication. « Schématiquement, l’information est
représentée du côté de la raison, respectant le libre arbitre de chacun, tandis
que la communication se situerait du côté de la sensation, dont on soupconne la
séduction manipulatrice »[2].
La définition du concept communication est difficile à circonscrire car tout
dépend du domaine dans lequel on se trouve (selon qu’on est politique,
industriel, informaticien, journaliste ou grand public). Communication peut
ainsi signifier transmettre, exprimer, se divertir, aider à vendre, éclairer,
représenter, délibérer…
La communication a connu un tournant
décisif aux XIXè et XXè siècles. Mais aujourd’hui, selon Eric Maigret, il y a
un désenchantement « avec l’affirmation de théories très réductrices
fondées sur l’idée de manipulation mentale par les médias ou de réduction de la
communication humaine à la communication machine »[3]. En
voyant le thème central de nos journées (Les
technologies de l’information et le développement humain. Les interrogations
africaines), nous pouvons nous dire que la question majeure est celle de
savoir le rôle que jouent les NTIC dans la diffusion des valeurs et des modes
de vie. C’est une question qui préoccupe au plus haut point la sociologie des
médias et la philosophie morale. Surtout maintenant que l’on parle du
« village planétaire », de ce « monde où les moyens de communication
permettent d’abolir les frontières et ses différences culturelles »[4],
il nous faut nous interroger sur les effets de NTIC sur la vie de nos sociétés
africaines. Il est évident que les innovations technologiques dans nos moyens
de communication ont une incidence sur nos sociétés. Pour cela, certains
« philosophent avec G. Deleuze et traquent les effets de
‘déterritorialisation’ induits par les technologies de communication. La
panoplie des concepts jadis forgée par G. Deleuze et Félix Guattari –
l’abolition de l’espace et du temps liée à la vitesse acquise par les échanges
d’informations, la multiplication des
simulacres que les techniques de numérisation promettent, la constitution de la
réalité virtuelle, etc – confère aux technologies nouvelles une dimension
philosophique inattendue »[5].
Les NTIC ont engendré des changements de
comportements à grande échelle sur le plan social, économique, idéologique, éthique… Pour
ce faire, le processus d’insertion des NTIC dans la société contemporaine est
une des préoccupations des chercheurs de plusieurs domaines : sociologues,
économistes, psychologues, journalistes, politicologues, philosophes. Je
m’intéresserai au domaine éthique tel que les organisateurs de ces journées me
l’ont suggeré car, comme le pense Marshall McLuhan, les médias modifient en
profondeur nos sociétés entières et nos modes de vie. L’histoire des NTIC est
comme un balancier qui fait alterner dénonciation
et apologie dans la description
des médias. On dirait qu’avec les NTIC, nous sommes dans une relation de
« je t’aime, moi non plus » ; il y a fascination autant qu’il y
a effroi. Si la société numérique (digitale) signifie une universalité et une
démocratisation de l’accès au savoir et à l’éducation, des liens sociaux et une
liberté d’expression confortés, un espace politique revitalisé, elle
représeente aussi un monde inégalitaire et sous surveillance, une pensée
fragmentée et une culture appauvrie, un individu désorienté et déshumanisé.
Cette société recouvre donc des réalités complexes.
Considérant le cadre de réflexion dans
lequel nous nous trouvons et pour laisser plus de temps à l’échange, je vais
aborder le sujet me proposé sur deux aspects. Dans un premier temps, je
m’attarderai sur l’impact des NTIC dans la vie de nos sociétés aujourd’hui et dans
un second moment je vais épingler les défis qu’imposent les NTIC aux valeurs de
nos sociétés africaines. Car je considère que si nous nous voulons tirer profit
de la multitude de contenus que nous propose les NTIC, nous avons « besoin
d’une carte et d’une boussole pour
dénicher les trésors et éviter les écueils dont est parsemé cet océan attirant
et intimidant à la fois »[6],
C’est tout l’enjeu de l’éducation aux nouvelles techniques de l’information et
de la communication.
1.
Les
NTIC et la société d’aujourd’hui
A sa naissance, le bébé manifeste sa
présence au monde par une communication qui nous fait comprendre qu’il est
vivant : un cri. Personne ne sait exactement dire ce que signifie ce
premier cri de l’enfant : douleur, colère ou peur d’un nouveau
monde ? Il est au moins clair qu’avant l’usage de la parole, l’enfant
communique par des cris sa joie, sa peine, ses émotions. Comme nous le savons,
la communication peut être « non verbale » : l’expression du
visage, la façon de s’habiller… Certaines sciences ont vu le jour pour
s’occuper de ce genre de communication. L’américain Ray Birdwhistell a fondé la
kinésique (étude de la communication
par les mouvements du corps), Edward Hall a fondé la proxémique qui étudie la
gestion par l’individu de son espace et des distances entre personnes dans les
processus de communication. Il y a plusieurs types de communications
(conversations) : consultation médicale, entretien d’embauche, débat, dialogue
entre amis et, aujourd’hui, les communications liées aux technologies nouvelles
(dialogue homme – machine, chats, courrier électronique…).
En rapport avec la manière de communiquer
et suivant le modèle d’Auguste Comte, Marshall McLuhan distingue trois
âges : âge tribal, âge de l’imprimé et âge électronique.
« L’âge tribal se caractérise par l’utilisation de l’oral et par
l’immersion dans un monde circulaire où la participation est intense. L’âge de
l’imprimé est celui de la rupture avec la dépendance instaurée par la parole,
il conduit à la linéarité, à l’introspection et à l’indiviudalisme. L’âge
électronique, dans lequel nous entrons, est un retour partiel à une certaine
facilité orale, au tribalisme, imposé par l’audiovisuel »[7].
Eric Maigret fait apparaître l’évolution
sémantique du mot communication au XIVè siècle en français et au XVè siècle en
anglais. Du latin communicare, on
est passé de l’idée de participer à,
de communier à celle de transmission et de moyen de passage avec la variété des
techniques de relations interindividuelles ou collectives (téléphone, presse).
« Le mot communication a pour
lui et contre lui le flou d’une expression qui peut être tirée du côté de la
valeur ou du côté de la technique : il autorise toutes les
appropriations »[8]. La
polysémie du terme communication et les divergences profondes d’analyse le concernant
viennent de la tension qu’il y a entre raison (vue comme saisie immédiate du vrai,
levée des illusions) et technique (vue comme médiation extérieure, efficacité,
mais déviation, imagination). Le mot média (médium), quant à lui,
« renvoie pour sa part à la mise en relation à distance, sans possibilité majeure d’interaction entre le récepteur et
l’émetteur, c’est-à-dire à un type de communication interindividuelle (échange
de face-à-face) et de la communication organisationnelle en petits groupes où
le récepteur a une faible capacité de réponse à l’émetteur (…) »[9].
A la question de savoir pourquoi nous
communiquons, Edgard Morin nous dit que nous communiquons « pour informer, s’informer,
connaitre, se connaitre éventuellement, expliquer, s’expliquer, comprendre, se
comprendre »[10] .
Et Marc Edmond distingue quatre enjeux
qui soustendent la communication : enjeux identitaires (garder face lors
d’un débat par exemple), enjeux territoriaux (maintenir une distance pour
protéger son espace), enjeux relationnels (rapports hiérarchiques) et enjeux
conatifs (dans le sens de vouloir influencer, manipuler ou persuader autrui). Ces
enjeux agissent sur les processus de communication et structurent ainsi la
relation. « Nous ne communiquons pas seulement pour transmettre ou
recevoir des informations, mais aussi parce que nous sommes poussés par
certains motifs, désireux d’atteindre certains buts et, plus largement, pour
maîtriser certains enjeux psychologiques »[11].
En communiquant, nous voulons aussi défendre notre image, marquer notre
territoire, entrer en relation avec autrui et l’influencer. Dans la
communication, on fait passer un contenu (informations, opinions, jugements,
sentiments, attentes…) et on instaure, plus ou moins directement, une relation
avec les interlocuteurs. Tenir l’autre pour un sujet et non pour un objet, c’est
ce qui distingue, selon Habermas, l’agir communicationnel d’une simple
manipulation.
Pour Eric Maigret, la communication est un
phénomène « naturel », « culturel » et
« créatif ». Le niveau naturel ou fonctionnel est le niveau du
« Un », de la tautologie, de l’adéquation de la pensée et du monde.
Le niveau social ou culturel est celui de Deux (A égale A mais A est différent
du B. C’est le niveau de l’expression des identités et des différences, de la
délimination des groupes et de leurs relations ; c’est le niveau du
dialogue ou de tension non absolue entre les groupes). Le niveau de la créativité
est celui du nombre ; c’est le niveau du Trois et de l’infini. A ce
niveau, la communication est perçue comme une activité normative, éthique et
politique ; il s’agit ainsi d’une relation entre pouvoir, culture et choix
démocratique[12].
Si la communication nous permet d’entrer
en relation avec autrui – elle est, à ce titre, désirée –, elle est aussi quelque chose de
redouté par le fait qu’elle crée la peur de l’intrusion d’autrui dans mon
territoire personnel, la violation de mon intimité. Dans cette relation à
autrui par la communication, chacun des interlocuteurs vise à influencer
l’autre, à le convaincre, le commander, le séduire, le menacer ; mais en
même temps chacun veut être reconnu dans son individualité, exister aux yeux
d’autrui. Il y a un échange entre les interlocuteurs. Dans la demande de
reconnaissance se dégagent des besoins identitaires d’existence et de
considération, d’intégration, de valorisation, de contrôle, d’individuation. C’est
ainsi que Marc Edmond relève 3 notions fondamentales dans la
communication : du côté de l’émetteur, il y a anticipation (c’est-à-dire le locuteur opère une sorte de
« calcul anticipatif » de ce qui peut être dit en intégrant sa façon
de percevoir et de situer l’interlocuteur) ; du côté du message, il
y a un compromis (entre un mouvement
expressif – qui pousse à dire – et un mouvement répressif – qui pousse à se
taire et contrôler ses propos –, c’est l’inhibition, la censure, le
non-dit) ; du côté du récepteur, il y a un processus d’interprétation. Et
« l’interprétation est une opération d’évalutation égocentrée,
c’est-à-dire d’attribution de signification et d’intentions en fonction des
motivations profondes du récepteur »[13].
Nous sommes dans nouvelle ère, celle de la société numérique. Par
rapport au passé, on peut parler de rupture, de révolution, de mutuation ou
d’évolution. Quelque soit la terminologie, la réalité est que la société est
entrée, sans conteste, dans une période où l’empreinte numérique est de plus en
plus profonde. C’est la miniaturisation du monde. Avec les NTIC sont apparues
des nouvelles façons d’agir, d’être et de penser. « Qu’il s’agisse de
l’accès à l’information, de l’organisation des savoirs, des rapports à l’espace
et au temps, des expériences de sociablité, de formes de communication, des
modalités de recherche et de lecture, de la participation au débat public, de
la gestion de sa vie privée…, des changements indéniables sont
observables »[14].
Le XXIe siècle voit se développer
vertigineusement les réseaux sociaux grâce au large réseau mondial (www = World
Wide Web, inventé par l’ingenieur anglais Tim Berners-Lee), l’internet. Si déjà
la telévision est un objet de conflit mais aussi d’échange, le téléphone
portable – par ses différentes formes et applications – est un outil de
contôle, d’échange mais aussi
d’autonomie. On vit séparément mais ensemble. En ce moment là, les pourfendeurs
des NTIC considèrent que ces dernières exacerbent l’individualisme et tue le
lien social. Mais internet donne aussi de la voix aux sans voix. En effet,
« internet constitue une revolution relationnel aussi, tant les timides
peuvent oser là ce qu’ils ne se permettraient pas dans la vraie vie. Sur le
net, ils sont affranchis du regard d’autrui et libérés de la pesanteur de ces
corps dont ils ne savaient que faire avant. Désormais protégés par l’écran,
l’anonymat du pseudo et l’absence des corps, bien loin des lieux de
représentation sociale, les âmes seules peuvent se permettre toutes les
audaces »[15].
Les NTIC permettent l’interactivité entre les personnes. La vitesse et la
réactivité instaurent une temporalité de l’immediateté et de l’instantanéité.
« Elle est une des explications du succès des
technologies numériques car elle facilite leur appropriation et crée un lien
entre le média et l’individu qui devient actif. Elle renouvelle la notion de
participation et en permet un usage fortement personnalisé »[16].
Internet est percu comme une infrasctructure qui transporte et fait circuler
des données sans interventios d’une quelconque institution ou des modifications
de celles-ci (données). Cest donc un principe de neutralité qui garantit
l’accès à tous les contenus, services et applications des données qui ne tient
compte ni de l’émetteur ni de l’utilisateur, encore moins de genre de données.
Grâce aux NTIC, le monde est devenu un
village planétaire sur le plan technique. On ne peut en dire autant sur le plan
social, culturel ou politique. Loin d’un rapprochement, les NTIC nous révèlent
plutôt l’hétérogéneité des systèmes de valeurs. L’autre, réalité lointaine
avant les NTIC, est devenu une réalité avec laquelle il faut cohabiter.
L’abondance d’informations sur les différences culturelles complique tout.
Cette situation nouvelle, du lointain devenu proche, impose de réfléchir sur
les conditions d’une cohabitation entre les identités culturelles. Aujourd’hui,
nous sommes dans un frottement généralisé des identités culturelles qui nous
portent vers un sentiment de dépossession, de perte de repères. Ainsi,
Dominique Wolton propose une cohabitation
culturelle qui serait ainsi une
égalité des cultures ; toutes les cultures seraient respectées sans
hiérarchisation des identités culturelles[17].
Dans les sociétés démocratiques, les NTIC
constituent un fait communicationnel le plus original et le plus déterminant.
Il n’y a qu’à considérer l’utilisation des réseaux sociaux dans les élections
américaines par exemple. Les NTIC deviennent une vraie courroie de transmission
de messages de campagne électorale. Au Congo par exemple, les résultats des
élections de décembre 2019 pouvaient être suivis en temps réel avant le blocage
de tout le système internet. Les NTIC sont considérées dans les pays démocratiques
comme les canaux visibles de la liberté d’expression. On dit ce que l’on pense
(Mr Trump est le champion de cela via son compte Twitter).
Les NTIC nous plongent dans une sociabilité profondément renouvellée car
elles sont, in fine, des technologies de rencontre d’autant plus que bien
souvent la plupart des terminaux se prêtent à la communication. Nous sommes en
face d’une diversification des modalités inédites de mise en contact et
d’échanges. La relation, la présence à l’autre et les manières d’établir, de
gérer et de renforcer les liens de sociablité sont modifiées. Peut-on
déterminer avec certitude l’impact de ces changements sur la qualité du lien
social ? On se rend compte d’une médiation croissante des contacts par les
outils de communication ; la sociabilité devient
« instrumentée ». Ce qui entraine une stagnation ou, mieux, une
baisse des situations de face-à-face et consacre un type de sociablité
électronique. D’où le risque d’une désindividuation.
Avec la sociabilité médiatisée, on vit sous le régime de la connexion continue
assurant une forme de permanence du lien. Cette « présence
connectée » prend appui sur la multiplication des dispositifs de
communication et de leur mobilité et est adoptée surtout avec les proches et
les intimes. Le problème est, cependant, qu’elle s’attache au lien lui-même et
à la manifestation de son existence, plus qu’au contenu de l’échange. La
sociabilité médiatisée est phatique. Il y a danger que cela nuise à la
profondeur de l’investissement dans la relation[18].
L’importance et l’influence des NTIC sur
les sociétés actuelles n’est donc plus à démontrer. Lassweel, par exemple,
parle de hypodermic needle (seringue ou aiguille
hypodermique) pour désigner l’influence que subissent les audiences passives
suite à la « communication de masse ». On peut aller dans le sens de
la Théorie Critique (Adorno et Horkeheimer) qui considèrent que les médias jouent
le même rôle que la religion chez Marx ; ils sont le nouvel opium du
peuple. On parle de Net-addiction. Ceci peut aboutir à une paresse
intellectuelle pour les chercheurs qui risquent de tomber dans le
plagiat ; ce qui poserait le problème de droit d’auteurs.
La
nouvelle société, celle numérique, est caractérisée par la dématérialisation et le virtuel.
« Le virtuel s’impose donc comme une forme
d’expérience du réel tout à fait étonnante. Il ne peut être assigné à aucune
coordonnée spatio-temporelle, il n’est fixé à aucun lieu ou moment précis, et
en ce sens, son mode d’existence est nomade. Il brouille les frontières et les
délimitations strictes du réel, l’intérieur et l’extérieur s’interpénètrent, le
rapport de la sphère privée à la sphère publique se modifie »[19]. Avec la numérisation, les contenus (textes, images
ou sons) endossent une nouvelle matérialité. On parle de dématérialisation.
Cela provoque une accélération de la vitesse de transmission, un détachement de
tout point d’ancrage spatio-temporel, une augmentation des capacités de
stockage. Ceci a pour conséquence : une accumulation documentaire diversifiée, une facilité d’accès, un
affranchissement de contraintes de lieu, d’heure ou de delai, une rapidité et
une vitesse du débit de transmission, une compression des données, une mobilité
des données grâce à la portabilité de celles-ci, une meilleure qualité (comparé
à l’analogique), l’interopérabilité (les applications communiquent et
interagissent entre eux)[20].
Devant l’ampleur du monde des NTIC, nous
oscillons entre fascination et d’effroi.
Sur le versant « fascination », avec la société numérique, il y a
ouverture, liberté et accessibilité à l’information et au savoir pour
tous ; le monde à venir sera plus égalitaire et plus coopératif. Elle nous
affranchit des contraintes spatiotemporelles et de l’emprise de tutelles comme
les institutions en même temps qu’elle permet la libre circulation, la mise à
disposition d’une quantité de ressources colossale. La créativité est
encouragée, des nouveaux réseaux de sociabilité se constituent et la démocratie
évolue vers un modèle plus parcitipatif et intéractif. Dans ce sens, les NTIC
deviennent un instrument de lutte contre l’exclusion sociale (infoexclusion et cyberexclusion). Sur le versant « effroi », la société
digitale est suspectée de créer des addictions à la connexion permanente, aux
univers virtuels ; du fait de la médiation technique, les communications
et les échanges deviennent sommaires et leurs contenus peu fiables, sinon
dangereux. On pense aussi qu’elle (société numérique) fragilise les libertés
individuelles et sonne le glas de la vie privée parce que les possibilités de
surveillance à distance s’accroissent[21].
Avec les NTIC, nous pouvons énumérer certaines caractéristiques :
l’affirmation d’un principe participatif, un partage et une liberté de parole
renforcés, l’essor de modalités de coopértion inédites. Il est évident
qu’aujourd’hui les idées de participation, d’interaction et de partage
deviennent des pilliers fondateurs de la société numérique. On en est droit de
dire que le Web est devenu une plateforme participative qui incite à une
démocratisation de l’expression publique et à une intensification des échanges.
C’est l’ouverture de l’espace médiatique et l’émergence d’un journalisme
participatif qui met fin au monopole de la diffusion de l’information par les
journalistes professionnels. Et dans le sens de partage et de liberté
d’expression, le site de micro-blogging,
Twitter, créé en avril 2006, a été conçu pour rester en contact avec un réseau
d’amis en échangeant des brefs messages en temps réel. « L’innovation à
base coopérative intègre trois catégories d’acteurs, le groupe restreint des
innovateurs, une masse conséquente de contributeurs qui les confortent par la
force de leur implication, des réformateurs qui interviennent sur le dispositif
technique pour le perfectionner »[22] (le
cas de Wikipédia lancé en 2001 par Jimmy Wales et Larry Singer).
Les NTIC permettent une communication
entre les personnes. Il est évident alors que, pour parler Karl Otto Appel,
toute communauté qui argumente présuppose des normes éthiques ; toute
communication est normative ; elle voit dans l’autre un alter ego envers qui j’ai une
responsabilité et pour qui je dois avoir du respect. « Bien compris, les médias sont une source
inépuisable d’apports, de loisirs, de connaissance, d’ouverture sur le monde et
sur les autres. Mal utilisés, ils peuvent se révéler dangereux, vecteurs
d’images et de paroles blessantes, pertubantes, sources de comportements
addictifs »[23].
Les NTIC
offrent des nouvelles, si pas des manières originales de se livrer au regard de
l’autre, de nouer des liens et de s’exprimer. Les thèmes abordés et les espaces
d’échange deviennent inattendus par le fait que les activités de différentes
natures se mêlent et que les fromtières entre le réel et le virtuel sont
difficiles à saisir. Personne n’est cependant dupe du risque d’effets
préjudiciables découlant des contenus du nouvel environnement de l’information
et de la communication. Il y a des comportements qui peuvent nuire au bien-être
physique, affectif et psychologique des esprits vulnérables, tel que la
pornographie en ligne, la pédopornographie, la représentation et la
glorification de la violence sur autrui ou sur soi-même, les propos humiliants,
disciminatoires ou racistes ou l’apologie de tels propos, la sollicitation
(l’approche), l’intimidation, la persécution et d’autres forme de
harcèlement… Conscient de ce risque, le
Conseil de l’Europe, par exemple recommande que les Etats membres développent
« une statégie cohérente pour ‘l’infocompétence’ et pour la formation à
l’information qui conduira à une autonomisation des enfants et de leurs
éducateurs, afin qu’ils utilisent au mieux les services et les technologies de
l’information et de la communication… »[24].
Il s’avère nécessaire de savoir comment s’orienter et accéder à des éléments
pertinents dans cette somme incommensurable, protéiforme et éclatée.
Malgré la
poussée des NTIC, il sied donc de relever qu’il y a, comme le dit si bien
Isabelle Compiègne, une fracture numérique entre les gens – étant donné que
l’accès à l’univers numérique et à tout ce qu’il offre présuppose un capital
économique, social et culturel. Ce qui n’est pas l’affaire de tous. « A
l’encontre de la promesse d’être une nouvelle agora numérque, Internet ne
favorise pas nécessairement le débat public. Effectivement, dans le
cyberespace, l’invective peut se substituer
à l’argumentation rationnelle, la multiplication et la fragmentation des
opinions l’emportent quelques fois, les participants ne sont pas toujours dans
une position égalitaire… Les dangers sont réels d’un émiettement de l’espace
public et d’un repli communautaire »[25].
Les NTIC et la crise des valeurs
Au début du XXè siècle, les réflexions sur
les médias sont réglées sur un discours apocalytique ou pathologique. « Le
discours sur les effets supposés des médias de masse sur les comportements
individuels emprunte la forme de ‘paniques morales’ ou celle du béhaviorisme.
Il s’agit dans le premier cas de dénoncer l’influence néfaste des médias sur
les populations, conçue comme mimétique (les médias répandent la violence, le
mauvais goût, la révolte ou la soumission), dans le second d’analyser de façon
clinique l’influence subie à travers la notion de stimulus »[26].
La peur que suscitent les médias de masse (tv, radio, internet…) est
justifiable. Il y a risque de massification pouvant déboucher sur un assujetissement,
un endoctrinement des individus – avec possibilité de dérives psychiques et
collectives. La conséquence serait un caractère moutonnier, vulgaire et
irresponsable. On dénonce alors les effets des médias sur des groupes
vulnérables, supposés les incarner par leur consommation. Ceux qui font
l’apologie des médias ce sont des professionnels de la communication, des
ingénieurs, des technocrates, des instituts de sondage et des prospectives, des
chercheurs. Tandis que ceux qui étudient et critiquent les effets sont par
exemple les psychologues, les philosophes…
Pour les pourfendeurs des médias, ces
derniers façonnent les idées des individus malgré eux, les manipulent. Cela a
un effet d’hypnose. Eric Maigret fait remonter les origines de la peur des
effets des médias déjà dans la République
de Platon où Socrate pense expluser les poètes de la Cité parce que leurs
histoires peuvent abuser les plus jeunes. Ce sont des illusions loin de la
réalité. « Depuis Socrate et Platon, le camp de l’idéalisme regroupe tous
ceux qui estiment que les hommes doivent se libérer des conditions concrètes
d’expression de la pensée, convaincus que l’esprit est un dialogue avec lui-même
et avec les autres esprits au sein d’une communauté de raison, et qu’il se
dégrade dans tout ce qui le matérialise comme autant d’ersatz de parole
authentique (Socrate refuse ainsi d’utiliser l’écrit pour exprimer sa
pensée) »[27]
. Chaque média, au moment de sa popularité, a toujours été jugé pervers (radio,
télévision, cinéma, bande déssinée, jeux vidéo, internet). Nous devons nous
rendre compte d’un besoin des clés de décryptage pouvant nous aider à dissocier
le vrai du faux, le réel du fictif. Faute de quoi, les esprits faibles se
verraient dans une attitude de banalisation du mal, du sexe et une
familiarisation avec la violence et l’exaltation des antivaleurs.
La perspective d’un cybermonde généralisé
alimente autant d’espoirs que de craintes de nombreuses personnes de perdre
tout contact humain direct. A l’heure d’internet et du virtuel, que devient
notre rapport à l’espace physique, se demande Alain Rallet. Notre monde aujourd’hui
est dual (virtuel et physique). Un bouquet de fleurs peut être physique ou
virtuel ; l’argent peut être des billets qu’on peut toucher ou une monnaie
virtuelle ; votre interlocuteur peut être une personne physique ou
personne virtuelle. La dématérialisation et le virtuel sont donc deux
caractéristiques de la société numérique.
Aujourd’hui, le problème de la
communication c’est celui de la tension entre raison et technique ou, mieux entre les outils de
transmission de l’information et les enjeux normatifs à partager là où l’on
recherche une raison partagée, une plénitude liée à l’échange. « Quand
l’homme crée et utilise des objets techniques, il quitte le domaine de la
nature, celui des objets sans vie, pour celui de la culture. La technique ne
s’apprécie que comme modification de la nature, elle est déjà un problème
social, malgré ses dimensions fonctionnelles »[28]. Avec
le flux d’informations à sa dispostion, l’homme peut se retrouver dans la
difficulté de gestion d’une information devenue pléthorique, c’est l’infobésité.
Avec l’essor des médias de masse s’est
produite une révolution dans les relations sociales : le déclin de l’autorité
traditionnelle (dans le couple, la famille, l’école, l’entreprise …).
Maintenant tout passe par la concertation, l’écoute, la négociation, la
discussion, l’échange, bref la « communication ». Mais malgré la
puissance de la technique et les vertus de la démocratisation, la communication
totale et transparente est une utopie ; c’est un leurre. La communication
n’est jamais totalement neutre et sans ombre, car « la communication est
souvent à sens unique ou dissymétrique, les enjeux implicites brouillent les
échanges et interdisent de tout dire, les messages sont souvent ambigus, le
récepteur jamais totalement réceptif… »[29].
Dortier nous dit autrement que « la communication limpide et transparente
est un mythe. Les messages sont souvent ambivalents, le récepteur sélectionne
les données et les véritables enjeux sont souvent cachés »[30].
L’information que l’on reçoit est toujours déjà filtrée, décodée, sélectionnée,
réinterpretée selon les intérêts et les préoccupations du récepteur. Les messages des médias sont des
« constructions », des « représentations » de la réalité et
non le simple reflet de celle-ci ; ils expriment les points de vue de
celui qui parle ou au nom de qui il parle. On parle alors de la non-transparence
des médias. Ces messages ne sont donc pas neutres, objectifs, impartiaux.
Parmi les
problèmes que posent les flux d’informations sur la toîle, on peut noter :
le déluge informationnel, l’infobésité, la Tour de Babel, des pratiques comme
le téléchargement illégal, les échanges pair à pair, la présence de contenus
illicites à la portée de tous, la pédophilie, le terrorisme ou encore la
cybercriminalité. Et pour faire face à ceci, on peut être tenté de développer
alors une approche protectionniste et repressive pouvant amener à une
limitation de l’accès à l’information. Les détracteurs des solutions juridiques
de filtrage recusent la batterie de mesures y afférante comme de moyen de
contrôle envahissants visant la réduction des libertés individuelles et mettant
en péril le principe de neutralité du Net[31].
Le premier obstacle pouvant biaiser une
bonne communication ou mieux, une intercompréhension, c’est le vocabulaire ;
pour le simple fait que les propos que nous tenons sont souvent polysémiques.
Avec les NTIC, on peut se demander sur l’anticipation,
le compromis et l’interpétation que nous suggère Edmond Marc dans toute communication.
Le locuteur (l’internaute) opère-t-il un calcul anticipatif tenant vraiment en
compte la situation de l’interlocuteur ? Y-a-t-il un compromis dans le
message (ce commerce entre le mouvement expressif et le mouvement
repressif) ? Y-a-t-il un vrai processus d’interprétation du message de la
part du récepteur ou le message est-il reçu dans son état brut ?
Un autre des problèmes que posent les
NTIC c’est « la bataille entre les partisans de la liberté d’expression et
les avocats d’une plus grande protection de la vie privée »[32].
Cette liberté peut aller trop loin et se transformer en cyberbullying. Combien des jeunes adolescents se sont suicidés à
cause des attaques, sur internet, de leurs camarades de classe, de
quartier ! « Vivant
sous le régime tyrannique de l’immédiateté, soumis au culte de l’urgence, avec
le besoin d’être sans cesse relié, l’homo
numericus est aspiré dans une spirale dont il est difficile de s’échapper.
Dans cette dictature de l’instantanéité, cet homme sous emprise est engagé dans
une interactivité presque continue. Cela rend problématiques à la fois son
autonomie et une construction de soi solide tant la disponibilité permamente,
la nécessité de constamment répondre au plus vite, l’impératif de réactivité,
oppressent plus qu’ils ne libèrent et détournent d’une certaine présence à
soi-même. De plus, cette situation paraît compromettre son engagement durable
dans une relation avec les autres. Dans une société où dominent labilité et
flexibilité, privés de temps et de durée, vivant des échanges brefs et
éphémères, les individus veraient leur capacité à ressentir des sentiments
diminuée »[33].
Un problème connexe au précédent, c’est
la cybercriminalité, qui contribue à la restriction de la liberté d’expression
par l’accentuation de la capacité de contrôle des citoyens par certains pays.
La liberté d’expression se retrouve limitée par exemple par la coupure intempestive
de l’internet dans des pays à tendance dictatoriale.
On vit ensemble séparément. Par exemple
la télévision familiale devient source de conflit entre hommes et femmes,
parents et enfants. D’où la multiplicité de télévisions dans les familles qui
peuvent se le permettre. Le téléphone portable s’inscrit dans le cadre de
l’individualisation de la communication. Ce téléphone personnel permet en
effet, lui aussi, de vivre ensemble mais séparément. Les jeunes s’autonomisent
par rapport à la cellule familiale ; ils y vivent tout en étant ailleurs.
Les communautés religieuses ne sont pas en reste. Le temps de la vie
communautaire se voit infectée par la maladie du net. La communication est plus
avec ceux qui sont loin physiquement qu’avec ceux qui sont présents
physiquement. C’est le contraste entre les absents-présents
et les présents-absents.
On peut dire avec regret que les NTIC ont amené une sociabilité
désincarnée où tout se vit à distance, virtuellement et dans l’anonymat.
« Bardés d’écrans et de pseudos, libérés de matérialité du corps, chacun
est délesté de marqueurs sociaux et psychologiques encombrants et affranchi des
contraintes de l’identité »[34]. L’écran
est devenu un paravent encourageant les plus timides et les plus complexés. Les
communautés virtuelles se multiplient ; elles développent des
communications interactives de tous à tous à partir d’un intérêt ou d’un
objectif commun. L’appartenance à une communauté virtuelle est liée au partage
de valeurs. Ces communautés instaurent une sociabilité ouverte et
déterritorialisée. C’est, pourrait-on dire, le paradoxe de l’union dans
l’isolement et d’une expérience réelle mais virtuelle.
Il est évident
aujourd’hui, par exemple, que la sociabilité des jeunes entre eux, construite
dans le cadre scolaire ou académique,
prend le dessus sur la sociabilité de la famille. Les confidences, surtout pour
des sujets tabous et sensibles, se font plus entre pairs qu’avec les parents ou
les membres de la famille. L’amitié, les relations avec les pairs sont les
valeurs phares de la sociabliité numérique à l’ère du numérique. Les relations
amicales prennent une place prépodérante dans la définition identitaire des jeunes.
Internet est devenu le premier vecteur
des adultères numériques. C’est le temps de la sexualité orale, c’est-à-dire
parlée ; c’est le moment des fantasmes. Des inconnus deviennent intimes,
tombent amoureux virtuellement, se séduisent sans se connaître. Il y a là une
réconfiguration du statut social et philosophique de la relation. Alors que
traditionnellement la relation, à fortiori amoureuse, se fondait sur la
rencontre des corps – et c’est alors que tout commencait -, la toîle renverse
les choses – on commence de l’intérieur[35].
Ce sont des relations virtuelles intimes. On parle ainsi de la télésexualité.
Célibaitaires et mariés se retrouvent dans cette réalité. Les femmes
recherchent souvent l’amour tandis que les hommes les aventures rapides.
Contrairement à Bernard Cathelat qui
pense que la publicité offre à la société un spectacle plus inventif et plus
riche de formes et de fonds, Guy Debord dénonce « un monde aliéné ou
‘fétichisme de la marchandise’, engagé dans un processus de ‘fabrication ininterrompue
de pseudo-besoins’. De ce point de vue, l’image publicitaire ne serait que
l’instrument d’aliénation et de décervelage des individus au service d’une
quête incessante de croissance des profits »[36]. La publicité manipule l’opinion avec l’idée de
créer chez les gens des nouveaux besoins. L’internet vient donner à la
publicité un cadre plus étendu de manipulation de l’opinion publique.
Si l’on
s’accorde à trouver dans les NTIC une plus grande ouverture à la liberté
d’expression, il nous faut aussi relever des conduites et des pratiques qui
fragilisent les libertés individuelles ; ily a une propension à
l’exposition de soi et la banalisation de la divulgation des données. La
transparence s’est accrue avec la libre circulation des idées et la fin de
l’opacité et du règne du secret. « Toutefois, en mettant en pleine
lumière, voire en disqualifiant, ce qui est de l’ordre du caché, de l’intime et
de l’intériorité, cette transparence risque d’être liberticide. Effectivement,
dans une société où les données les plus personnelles sont visibles et à la
portée de tous, la sphère privée se réduit, la perméabilité est manifeste entre
celle-ci et la vie publique »[37].
Parmi les technologies numériques de surveillance, on peut citer les techniques
biométriques qui, grâce à l’identification et la localisation à distance,
rendent réalisable une tracabilité générale.
Le pouvoir
de surveillance s’amplifie avec l’interconnexion dépendant de la triple
révolution technologique combinant l’électronique, l’informatique et les
télécommunications. Cette surveillance n’est pas seulement celle des Etats sur
les citoyens ; elle est devenue aussi horizontale : une surveillance
par le bas, la « soussurveillance » où tout est surveillé par tout le
monde. La surveillance n’est plus seulement institutionnelle mais
interpersonnelle (parents-enfants, amis, conjoints, voisins, collègues… Il y a
donc porosité des frontières entre vie privée et vie publique. Non seulement
des excès de certaines conduites libertaires, mais il ya aussi risques de
dérive totalitaire, mettant en péril l’intimité, la vie privée et les libertés
individuelles tendant à l’impossibilité d’effacer son passé ou de se
déconnecter.
Dans les situtations de guerre, les NTIC
deviennent des véritables moyens de contrôle et manipulation de l’opinion
publique. C’est le mensonge d’Etat. Les Etats qui ont des moyens
techniques les plus sophistiqués manipulent l’opinion internationale ou se
permettent de brouiller les communications des autres Etats. On peut dire avec
Bourdieu que « la culture et les médias sont des espaces contigus où
s’exprime une domination sociale, celle des plus dotés en ‘capital
linguistique’ et en ‘capital culturel’ (pourquoi pas en ‘capital
technologique ! C’est moi qui ajoute), à l’égard des moins dotés, les
dépossédés »[38] .
La guerre d’Irak est un cas probant de cette manipulation de l’opinion
internationale par les américains (Colin Powell et l’administration Bush) grâce
à une présentation mensongère sophistiquée des armes de destruction massive que
possederait Saddam Hussein.
Le rôle joué par les NTIC dans la
mondialisation est considéré par beaucoup comme étant celui d’être au service
des intérêts capitalistes ; elles servent alors à véhiculer les idées et
la culture des puissants capitalistes, selon la thèse marxiste du reflet. C’est
tout le sens de la glocalisation (néologisme né au Japon) ; on s’efforce
d’ajuster l’offre selon la qualité de la clientèle locale. Les tendances
globales sont alliées aux tendances locales dans le cadre d’une économie
mondialisée. Grâce à la glocalisation, et par l’utilisation des NTIC, les
multinationales ont su trouver des statégies pour « localiser » leurs produits. La publicité du même produit
s’adapte au milieu dans lequel il est vendu.
Le danger qui nous guette, si nous ne
prenons garde, c’est la perte de soi. « La menace majeure est que, par refus d’une réalité sociale vécue
comme trop contraignante ou désespérante et désir d’échapper à une image de soi
décevante, l’individu s’enferme dans ces univers et s’y perde. L’évasion dans
une myriade de soi virtuels, ‘ l’enfermement virtuel’, ou l’absorption dans un
ensemble communautaire, ‘l’enfermement téticulaire’, sont des manifestations de
cette perte de soi. Le retranchement derrière des masques peut aussi induire la
perspective de relâchements, d’abus, d’agissements illicites, un évanuoissement
de la responsabilité à cause justement de l’état d’anonymat et du brouillage de
l’identité »[39].
Conclusion
Avec l’apparition de l’homo numericus, il y a évolution des comportements, de la personnalité,
des manières d’être et de sentir. « Joignable à chaque instant, gérant des
situations tout en restant chez toi, l’homo
numericus est de plus en plus affranchi des contraintes temporelles et
spatiales et inscrit dans de nouvelles temporalités »[40].
Les technologies mobiles sont des bons alliés pour cela. Une chance est donnée
à chacun d’échanger sans peur d’une stigmatisation.
Au-delà des cultures qui composent le
monde aujourd’hui, on peut s’interrroger du rôle des médias dans la
construction du « monde commun » et dans la vie de l’ensemble de la
société. Face aux NTIC, les positions sont aussi passionnées qu’ambivalentes. Autrement
dit, la société numérique a un potentiel ambivalent d’émancipation et de
surveillance ; elle favorise à la fois le flux, l’entrelacement, la
liaison et l’enserrement, le contrôle. D’un côté on dénonce l’asservissement
des masses et de l’autre on y voit un idéal communautaire. Avec les NTIC, la
mondialisation se voit bien servie mais les sociologues de l’école de Francfort
(Théodore W. Adorno et Herbert Marcuse) y voient un instrument au service de
l’hégémonie de l’idéologie capitaliste dominante ; les médias anesthésient
le public sous un flot d’informations (infobésité),
engendrant une « perte de réalité ». Du côté de l’idéal
communautaire, on peut penser au rêve humaniste du citoyen du monde du
« village planétaire » de Marshall McLuhan. Pour ce dernier, la
communication abolit les frontières. En ce temps postmoderne, il faudrait
chercher à vanter les mérites du métissage, de l’interculturalité, de la
différence au lieu de valoriser une seule culture (scientifique, occidentale),
car toute culture est une interprétation du monde. Pour ne pas tomber, grâce aux NTIC, dans une
mondialisastion nivellante (l’occidenalisation du monde) et rouleau
compresseur, nous devons valoriser les sagesses fondamentales de nos cultures
et civilisations.
Dominique Wolton, quant à lui, voit dans
les médias les garants de la démocratie. Le développement de l’internet suscite
l’espoir d’une solidarité planétaire en même temps qu’il fait redouter une
uniformisation culturelle ou même une dissolution du lien social dans une
multitude de micro-communuautés virtuelles. On ne peut cependant nier qu’il y a
un mépris intellectuel vis-à-vis des NTIC, de ces médias de masse, tenant
compte de la préoccupation que l’on a à l’égard des effets (néfastes !)
sur les populations ou à cause de l’idée selon laquelle « les industries
culturelles » sont des courroies de transmission de l’idéologie dominante.
C’est l’occidentalisation ou, mieux, l’américanisation du monde. La génération
digitale est exposée à deux dangers : la cyberaddiction et la
cybercriminalité.
Si l’on doit parler de la crise des
valeurs par rapport aux NTIC, il sied aussi d’en relativiser l’essor ;
car, comme le constate Karine Philippe, « un homme sur cinq ne sait ni
lire ni écrire, et la moitié de la population mondiale n’a pas le
téléphone »[41].
C’est dans ce sens qu’Alain Rallet pense que les idées communément admises,
selon lesquelles « les réseaux de communication à distance remettraient en
cause les relations de proximité, permettraient de télétravailler,
bouleverseraient l’organisation du territoire »[42],
sont infirmées par la réalité.
Contre ceux qui pense par exemple qu’il y
a un rapport entre violence et médias en argumentant souvent que ce dernier alimentent la violence, Eric Maigret pense que
rien ne permet d’établir une relation statistique entre médias et
violence ; car « le Japon est le pays des jeux vidéos de combats et
des nangas, bandes dessinées souvent
critiquées pour leur violence extrême, mais il est aussi l’un des pays où le
nombre de viols et de meurtres est le plus faible au monde »[43] .
Qui dit mieux !
Devant l’emprise de NTIC, il nous faudrait des formes de
« défense » et de « filtre » pour ne pas être envahis sans
ménagement. Nous devons être conscients du risque
d’affaiblissement des valeurs collectives de nos sociétés. La question qui doit
guider notre approche devra être celle de savoir, comme le dit Pungi Lino,
comment faire que les NTIC soient plus Pentecôte que Tour de Babel, plus ruche
d’abeilles, plus termitière qu’une caverne de vampires.
Prof. Dr. OKEY
Mukolmen Willy, cp
Professeur des
Universités
[1] K.
PHILIPPE, « Les sciences de l’information et la communication » in P. CABIN et J.-F. DORTIER (dir.), La communication, 3ème
édition actualisée, Auxerre, Sciences Humaines, 2008, p. 78.
[2] Ibid.
[3] E. MAIGRET, Sociologie de la communication et des médias, 3è édition, Paris,
Armand Colin, 2015, p. 5.
[4] J.-F. DORTIER, « La
communication : omniprésente, nais toujours imparfaite » in P. CABIN
et J.-F. DORTIER (dir.), La
communication, op. cit., p. 9.
[5] J.-M. BEGNIER, « Les figures
actuelles de la pensée » in J.-F. DORTIER (dir.), Philosophies de notre temps, Auxerre, Sciences humaines, 2000, p. 74.
[6] EUROMEDUC cité par J. PUNGI Lino, Eduquer aux médias à l’ère de l’internet.
Repères théoriques et pistes d’action en R.D. Congo, Kinshasa, Medi@ction, 2013, p. 4.
[7] E. MAIGRET, Sociologie de la communication et des médias, op.cit., p. 96.
[9] E. MAIGRET, La sociologie de la communication et des médias, op. cit., p. 24.
[10] E. MORIN, « L’enjeu humain de
la communication » in P. CABIN et J.-F. DORTIER (dir.), La communication, op. cit., p. 21.
[11] E.-M.
LIPIANSKY, « Pour une psychologie de la communication » in P. CABIN et J.-F. DORTIER (dir.), La communication, op. cit., p. 44.
[12] Cf. E. MAIGRET, Sociologie de la communication et des médias, op. cit., p. 7.
[13] E. MARC, « Pour une psychologie
de la communication », op. cit.,
p. 52.
[14]
I. COMPIEGNE, Isabelle, La société numérique en question (s), Auxerre, Sciences Humaines,
2011, p. 6.
[15] P. LADERLLIER, « Le Net
sentimental » in P. CABIN et J.-F. DORTIER (dir.), La communication, op. cit., p. 335.
[16] I. COMPIEGNE, La société numérique en question (s), op. cit., p. 15.
[17] Cf. S. ALLEMAND, « Pour une
cohabitation…culturelle » P. CABIN et J.-F. DORTIER (dir.), La communication, op. cit, p. 345 – 346.
[18] Cf. I. COMPIEGNE, La société numérique en question (s), op.cit., p. 33-35.
[19] I. COMPIEGNE, La société numérique en questio (s), op. cit., p. 15.
[21] Cf. ibid., p. 13.
[23] A.VINCENT-DERAY cité par J. PUNGI
Lino, Eduquer aux médias à l’ère de
l’internet. Repères théoriques et pistes d’action en R.D. Congo, op. cit., p. 15.
[25] I. COMPIEGNE, La société numérique en question (s), op.cit., p.57.
[26] E. MAIGRET, Sociologie de la communication et des médias, op. cit., p. 10.
[28] E. MAIGRET, Sociologie de la communication et des médias, op. cit., p. 5.
[29] J.-F. DORTIER, « La
communication : omniprésente, nais toujours imparfaite » in P. CABIN
et J.-F. DORTIER (dir.), La communication,
op. cit., p. 13.
[30] Ibid., p. 5.
[31] Cf. I. COMPIEGNE, La société numérique en question (s), op.cit., p. 26.
[32] S. ALLEMAND, « Internet :
le pouvoir de l’imagination. A propos du livre de Manuel Castells La Galaxie
Internet » in P. CABIN et J.-F. DORTIER (dir.), La communication, op. cit., p. 321.
[33] I. COMPIEGNE, La société numérique en question (s), op.cit., p. 68.
[34] Ibid., p. 35.
[35] Cf. P. LARDELLIER, « Le Net
sentimental » in P. CABIN et J.-F. DORTIER (dir.), La communication, op. cit., p. 336.
[36] V.
TROGER, « La publicité entre manipulation et création » in P. CABIN et J.-F. DORTIER (dir.), La communication, op. cit., p. 259.
[38] E. MAIGRET, Sociologie de la communication et des médias, op. cit., p. 123.
[41] K. PHILIPPE, « Les sciences de
l’information et de la communication » in P. CABIN et J.-F. DORTIER
(dir.), La communication, op. cit.,
p. 81.
[42] A. RALLET, « Communication à
distance : au-delà des mythes » in P. CABIN et J.-F. DORTIER (dir.), La communication, op. cit., 2008, p.
307.
[43] E. MAIGRET, Sociologie de la communication et des médias, op. cit., p. 51.