mercredi 17 avril 2019

La passion du pouvoir corrompt. Réflexion sur la faculté de penser et de juger.

« En tant que citoyens nous devons empêcher les actes mauvais, parce que le monde dans lequel nous vivons tous, auteur, victime, spectateur, est en cause ; la Cité est atteinte »[1]
Résumé : On aurait cru que les pires crimes du 20ème siècle appartiendraient à l’histoire, mais grande est notre surprise de constater que nous continuons à commettre les mêmes erreurs. Dans le cas des pays africains, les luttes pour l’indépendance des années soixante et les revendications de démocratie des années quatre-vingts dix n’ont pas améliorées les conditions de vie des africains. Les dirigeants sont devenus « les penseurs » et les fonctionnaires et autres sont devenus des simples exécutants faisant leur devoir. Ce qui montre dans le chef de ces différents fonctionnaires une incapacité de penser, une banalité du mal. Il faut se réapproprier la pensée pour poser des actes partant d’un jugement qui nous mettrait à l’aise avec nous-mêmes.

Summary : Many would think that different crimes of the 20th century are things of the past, but we are ammazed that we are still commiting the same mistakes that lead to those crimes. As for african countries, the struggles for independence of the sixties and the cry for democracy of the nineties have changed nothing in ordinary lives of africans. Leaders have become « thinkers » and many in government positions have become simply officials doing their job. This shows a lack of ability to think, a banality of evil. We must regain our capacity to think as to act after a judgment that will make us be in peace with our own conscience. 

            Dans Condition de l’homme moderne, Hannah Arendt s’était consacrée à développer la triade de la vita activa (travail, œuvre et action ; c’est-à-dire l’homme en tant qu’animal laborans, homo faber et protagoniste d’actes publics). Nous avons eu l’opportunité d’aborder cette triade dans notre livre Agir politique et banalité du mal[2]. Pour elle, les conditions de l’existence humaine ne se réduisent nullement à ces trois activités ; la naissance, la vie, la mort, la pluralité en font aussi  partie. L’intention d’Arendt était de consacrer un autre livre à la triade de la vita contemplativa (Pensée, volonté et jugement). Malheureusement, la mort ne lui avait pas permis de finaliser ce projet. Elle nous a cependant légué, dans le cadre de la vita contemplativa, son livre La vie de l’esprit traitant de la pensée et de la volonté. Citant Hughes de Saint Victor, Arendt dit que « la vie active est `laborieuse’, la vie contemplative tranquillité pure ; la vie active se déroule en public, la vie contemplative `au désert’ ; la vie active est vouée à `la nécessité d’un voisinage’, la vie contemplative à `la vison de Dieu’ »[3].

            Arendt envisage les affaires des hommes sous trois perspectives. D’abord, elle voit l’homme en tant que membre de l’espèce humaine (dépourvu de toute singularité), ensuite elle le voit sous l’angle de sa rationalité et de sa moralité (c’est-à-dire capable de soumettre son agir à un ensemble de règles préalablement établies) et enfin elle appréhende l’homme à la lumière de sa condition politique et de son appartenance au monde pluriel des affaires humaines. Dans les deux premières perspectives, il est question d’une multiplicité d’individus en tous points de vue identiques les uns aux autres, tandis que dans la dernière perspective, l’homme apparaît comme un individu unique et singulier.

Eu égard à la situation politique dans différents pays du monde et plus particulièrement en Afrique où l’autoritarisme des politiciens et l’incapacité de penser de plusieurs d’entre eux retardent la démocratie et le développement, je voudrais me ressourcer chez Hannah Arendt à partir de la triade de la vita contemplativa. Je développerai ma pensée autour du concept clé de banalité du mal et son impact sur la vie en société. Notre société est certes une société en crise dans plusieurs domaines. Mais quand la politique – qui est l’organisation de la cité – est en crise, les autres domaines de la vie en société ne peuvent que subir un coup fatal. Ce qui est important c’est de comprendre que la crise, au-delà de son aspect négatif de destruction d’un modus vivendi traditionnel, est une opportunité d’innovation et de création d’un nouvel ordre « plus beau qu’avant ». Les erreurs du passé doivent devenir l’occasion de créativité d’une nouvelle vision d’un vivre ensemble plus harmonieux. C’est l’expérience de la crise qui était au centre de la pensée d’Arendt. Le problème c’est que dans beaucoup de pays, surtout d’Afrique, les crises ne permettent souvent pas la création d’un ordre nouveau ; au contraire, on passe de crise en crise. Les donneurs de leçons du hier deviennent les bourreaux d’aujourd’hui.

            Nous commencerons par chercher à comprendre le vrai sens de l’expression « banalité du mal » avant de montrer le danger de l’oubli dans la vie d’une nation, car les mêmes causes produisent les mêmes effets, dit-on.

1.      La banalité du mal

Souvent quand on entend parler de banalité du mal, beaucoup ont tendance à penser qu’il s’agit d’une banalisation du mal. Banalité du mal équivaudrait ainsi à banalisation du mal. Une telle interprétation a valu à Arendt un certain mépris, sinon la furie de ses lecteurs, surtout de la part de ses frères et sœurs rescapés de la Shoah qui suivaient avec une attention soutenue le procès d’Eichmann. « Le diagnostic de la banalité du mal ne vise certes pas à exempter le criminel d’une responsabilité morale à l’égard de ses actes, même si le fondement d’une telle responsabilité demeure obscur »[4].

Arendt, qui suit le procès sous la casquette d’une envoyée du journal New York Times, « ne comprend rien » des explications que donne le criminel qu’est Eichmann. Selon ce dernier, il n’a fait que son devoir – se référant même ainsi à Kant. Pour Arendt, Eichmann n’a pas compris le sens du concept devoir chez Kant. Le langage de Eichmann, cet homme ordinaire, qui manque de pensée, est un langage bourré de clichés, des phrases toute faites, de codes d’expressions standardisés et conventionnels. Ce genre de langage protège de la réalité, « c’est-à-dire des sollicitations que faits et événements imposent à l’attention, de par leur existence même »[5]. De là est sortie l’expression « banalité du mal ». Mais qu’est-ce alors ?

La banalité du mal n’est pas, pour Arendt, une doctrine ou une théorie mais quelque chose de factuel se distinguant uniquement par une extraordinaire superficialité ; ce n’est pas de la stupidité mais une curieuse et authentique inaptitude à penser[6]. Pour Arendt, Eichmann ne connaissait pas l’exigence de la pensée car il accepte, sans coup férir, que ce qu’il considérait en son temps comme devoir se définit maintenant comme crime. Pour Eichmann, ce code pénal devenait un nouveau langage. Comment qualifier cela, sinon d’une totale absence de pensée. « L’absence de pensée ne veut pas dire stupidité ; elle se manifeste chez des gens très intelligentes et elle ne provient pas d’un cœur mauvais ; c’est sans doute l’inverse qui est vrai, la méchanceté peut être causée par l’absence de pensée »[7].

La pensée est un questionnement par essence ; elle est « cette capacité infinie de questionnement, qui permet d’échapper aux conditionnements politiques, sociaux, culturels, et de prévenir par conséquent cette humanité trop banale au point d’en devenir bestiale, soit : cette inhumanité qui se marque par l’inertie, la paresse de la réflexion, le manque de profondeur et, finalement, l’horreur de crimes accomplis comme machinalement, sans motif ni passion »[8]. L’activité de penser c’est « l’habitude d’examiner tout ce qui vient à se produire ou attire l’attention sans préjuger spécifique ou des conséquences »[9]. Toute personne amoureuse de la sagesse doit donc être à mesure de faire un examen critique ; c’est-à-dire guidé par le besoin de réfléchir sur toute chose et de soumettre toute chose – et surtout tout agir – à  l’examen critique. Dans ce sens, pensée et jugement vont ensemble ; car notre aptitude à juger, à distinguer le bien du mal, le beau du laid dépend de notre faculté de penser. L’inaptitude à penser et le désastreux manque de conscience coïncident. L’étymologie même du mot con-science l’indique bien. Être con-scient c’est au fait « connaître avec et par soi » ; il s’agit d’un type de connaissance qui est actualisé par le processus de pensée. « L’activité de penser en elle-même, l’habitude de tout examiner et de réfléchir à tout ce qui arrive sans égard au contenu spécifique et sans souci des conséquences, cette activité peut-elle être de nature telle qu’elle `conditionne’ les hommes à ne pas faire le mal ?»[10]

La banalité du mal c’est l’incapacité à penser par soi-même – à penser notamment du point de vue d’autrui ; c’est l’absence de pensée qui soustrait à tout examen critique ; ce n’est pas une banalisation du mal. « L’inaptitude à penser n’est pas la stupidité ; elle peut s’observer chez des personnes très intelligentes, et la méchanceté peut difficilement en être la cause, compte tenu du fait que l’absence de  pensée comme la stupidité sont des phénomènes plus courants que la méchanceté. Le problème réside précisément en ce qu’il n’est nullement nécessaire d’avoir un cœur mauvais, phénomène assez rare, pour causer de grands maux. Ainsi, en termes kantiens, l’on aurait besoin de la philosophie, l’exercice de la raison en tant que faculté de la pensée, pour prévenir le mal »[11].

On se rend ainsi à l’évidence que l’incapacité de penser n’est pas la prérogative de quelques malchanceux qu’on pourrait qualifier d’idiots parce qu’ils manqueraient d’intelligence. C’est une situation qui est à la porte de toute personne humaine. Elle peut aussi bien concerner les érudits et autres spécialistes de l’équipe mentale qu’une personne « ordinaire ». L’incapacité de penser qui peut frapper tout le monde est cette possibilité d’empêcher le rapport à soi-même, dont la possibilité et l’importance étaient découvertes par Socrate : le deux-en-un socratique.[12] Pour Arendt, ne sont capables de penser et dignes de confiance que ceux qui sont inspirés l’eros socratique ; car ils ont l’amour de la sagesse, de la beauté et de la justice.  Socrate affirme deux choses importantes : 1. « `commettre l’injustice est pire que la subir’, ce à quoi Calliclès, l’interlocuteur de Socrate dans le dialogue, répond comme l’aurait fait toute la Grèce : `subir (l’injustice) n’est même pas le fait d’un homme : c’est bon pour un esclave, à qui la mort est plus avantageux que la vie et qui, contre l’injustice et les mauvais traitements est sans défense à la fois pour lui-même et pour ceux qu’il aime », et, 2. « mieux vaudrait me servir d’une lyre dissonante et mal accordée, diriger un chœur mal réglé ou me trouver en désaccord ou en opposition avec tout le monde, que de l’être avec moi tout seul et de me contredire »[13].

Le travail de penser est comparable à la toile de Pénélope : elle défait chaque matin ce qu’elle avait achevé la nuit précédente. Il n’y a que le mort qui ne pense plus. La pensée va ensemble avec la vie. Pour Arendt, elle est elle-même la quintessence dématérialisée du vivre. La vie ne saurait développer sa propre essence sans l’exercice de la pensée ; elle manquerait de signification. Ceux qui ne pensent pas sont comme des somnambules.[14]

Le reproche des Athéniens à Socrate était que la pensée de ce dernier était subversive, une pensée qui ressemblait à un orage dont le vent balayait tous les signes bien établis, tous les repères bien établis qui permettaient aux membres de leur communauté de s’orienter dignement dans le monde. Pour eux, la pensée de Socrate apportait dans leur cité le désordre et la corruption de la jeunesse. Ils empêchaient ainsi Socrate d’être un homme libre, un être qui pense par lui-même et réfléchit en dehors des schèmes de pensée préétablis. Mais que serait une vie sans examen !

Une revue de l’histoire de l’humanité nous montre que le mal s’est incarné dans le mal du pouvoir. Dans la Bible, par exemple, le prophète Amos fustige le comportement des puissants qui commettent des crimes sur les pauvres citoyens : travail forcé, déportation des captifs, exil des paisibles citoyens, éventrement des femmes enceintes… Le tyran, ce « loup à forme humaine » est esclave de ses désirs et fait violence à autrui ; il devient aveugle à lui-même. Le despote, quant à lui, « n’a de pouvoir que fondé sur la crainte qu’il inspire, et lorsque son bras se lève, c’est pour donner la mort »[15].

Les renversements des codes de conduite suggèrent que tout le monde dormait lorsque survenaient des horribles crimes. Le 20e siècle nous a offert des tristes expériences où l’on peut considérer la facilité avec laquelle les régimes totalitaires ont pu renverser le commandement fondamental de la morale occidentale : « tu ne tueras point » pour l’Allemagne de Hitler, et « tu ne porteras pas de faux témoignage envers ton prochain » pour la Russie de Staline. Il s’agit d’une incapacité de penser des hommes transformés en masse. L’état a orchestré l’anéantissement de l’homme. C’est là un problème majeur des systèmes totalitaires du 20e siècle qui continue à hanter les pays africains dont la tendance est d’infantiliser leurs citoyens. Cet anéantissement a un impact moral qui s’insinue dans les mentalités des citoyens. La crise de l’identification entraine une perte de la capacité à partager le monde avec autrui. Le mal défie la pensée.

La pensée est un dialogue solitaire et silencieux de soi avec soi-même. Ainsi, la pensée, le deux-en-un du dialogue silencieux, actualise la différence au sein de notre identité ; le jugement réalise la pensée, la rend manifeste au monde des apparences où je ne suis jamais seul et toujours trop occupé pour pouvoir penser. Pour Arendt, la faculté de juger, l’aptitude à dire « c’est mal », « c’est beau », etc., est la plus politique des aptitudes mentales. « Prenant le contre-pied des moralistes classiques, Kant affirme que le mal n’a pas sa source dans l’irrationalité des passions. Les penchants physiques, les inclinations sensibles, les désirs sont moralement neutres : ils ne peuvent fournir que l’occasion de la réalisation du mal… Mais la disjonction du mal et de la sensibilité ne porte cependant pas Kant à rechercher l’origine du mal dans une `dépravation’ de la raison qui ferait de l’homme un être `diabolique’ mû par l’intention de faire le mal pour le mal »[16].

Paul Ricœur considère que la quintessence du mal c’est le mensonge et l’auto tromperie et non la désobéissance ou la transgression de la loi. On définirait « l’homme mauvais » non pas comme celui qui veut le mal mais plutôt comme celui qui a une tendance secrète à s’excepter lui-même. « On dira alors que le mal est perversion – toujours issue de la liberté – dans la mesure où se trouve renversé l’ordre des rapports entre le respect de la loi morale et les inclinations. Ce mal est perversion à l’amour de soi érigé en règle de la volonté. Aussi le mal radical est-il mensonge plutôt que rébellion ou désobéissance, conformité frauduleuse à la loi plutôt que transgression ouverte »[17]. Le mal du mal est le mensonge, la falsification, le simulacre.

Par sa pensée et son jugement, l’homme a l’aptitude de discernement des valeurs, la perception de l’utile et du nuisible, du juste et de l’injuste, du bien et du mal. Le désir le plus profond de l’homme n’est pas seulement de « vivre » mais (de) « bien vivre ». Cependant, il sied de noter que cette visée du « bien vivre », cette aspiration qui s’attache en propre à la « vie bonne vie » est fragile. L’homme est un couteau à deux tranchants : il peut tout autant être le meilleur de tous les êtres vivants comme le pire de tous. Il peut user à bon escient des armes que lui offre la nature grâce à la prudence et la vertu comme il peut utiliser ces mêmes armes pour des fins diamétralement opposées. L’action, selon Hannah Arendt, est la seule activité qui témoigne immédiatement de la condition humaine de pluralité. Par elle, le sujet singulier révèle qui il est. Par son action, le sujet entre par là même en relation avec autrui (avec, pour ou contre lui).

Pour Arendt, « le monde devient inhumain ou acosmique lorsque se défait l’entrelacs que les hommes ont tissé, lorsque s’éparpille la durée où ils entretiennent leurs conversations infinies et qu’il ne reste plus aucune trace des paroles depuis longtemps expirées, lorsque enfin – faute d’avoir encore en partage assez de mots intelligibles – ils se demandent ce qu’aux tard venus ils pourraient bien léguer »[18].

Contrairement au mal radical qui a trait à la profondeur des racines ou des motifs (profondeur du démoniaque, de la volonté perverse, de la méchanceté essentielle, des passions malfaisantes), la banalité du mal a affaire à la condition d’un homme médiocre, dépourvu de motivations qui s’illustre par l’absence de pensée et l’utilisation constante d’un langage stéréotypé, de clichés standardisés qui le gardent dans une bulle hors de la réalité. Il s’agit ainsi d’un homme ordinaire qui est le produit d’un système. C’est pourquoi Arendt préfère le concept de « banalité du mal » à celui de « mal radical ». Encore une fois, comme on le constate, pour Arendt, la banalité du mal ne signifie pas la stupidité mais le manque de pensée ; le manque de profondeur évident (c’est le cas d’Eichmann). Cette réalité est-elle loin de nous quand certaines personnes vivent sur une autre planète et débitent à longueur des journées des formules stéréotypées sans scrupule et prêts à tout au nom du devoir !

Dans le système totalitaire, décrit par Arendt, l’humanité est « dénaturée », soustraite « aux critères de reconnaissance du semblable par le semblable, c’est-à-dire à la possibilité même de l’identification »[19]. Le système totalitaire anéantissait l’humanité de l’individu par un processus en trois étapes : anéantissement de la personnalité juridique par la mise en écart, hors la loi, de certains groupes humains ; anéantissement de la personne morale en faisant devenir certaines personnes simplement anonymes ; et, enfin, l’annulation de la singularité, de l’unicité unique de chaque homme. L’individu n’est plus qu’un spécimen de l’animal humain et perd ainsi toute spontanéité, c’est-à-dire la capacité reconnue à chaque nouveau né, chaque nouveau venu sur cette terre des hommes, de commencer quelque chose de neuf à partir de ses propres ressources. Le système a utilisé des fonctionnaires, des hommes ordinaires pour annihiler les victimes avant de les amener à « l’abattoir ». Les hommes devenaient superflus. « Est superflu tout ce qui excède les réflexes instinctifs d’une espèce animale – l’espèce animale humaine. L’homme comme spontanéité, doué d’une capacité d’initiative, apte à accomplir l’imprévisible et l’improbable est de trop. Et c’est en tant qu’ils sont potentiellement réduits à n’être que des échantillons interchangeables que tous les hommes, sans exception, peuvent devenir superflus, sans dommage pour l’espèce »[20].

Pour arriver à leurs fins Hitler et Staline se sont servis des fonctionnaires zélés pour exécuter leur salle besogne. Pendant et après les faits, ces fonctionnaires ont considérés n’avoir fait que leur devoir. Ils ont montré ainsi qu’ils étaient incapables de penser par eux-mêmes. Le Führer ou le guide éclairé était le penseur pour eux. Ils ont une pensée par procuration. Si aujourd’hui, le totalitarisme de cette manière est loin de nous, on peut se demander si les fonctionnaires incapables de penser par eux-mêmes ont disparu de cette terre.

2.      Le danger de l’oubli

Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Comme le dit si bien Arendt, la tradition c’est « le fil conducteur à travers  le passé et la chaîne à laquelle chaque nouvelle génération, sciemment ou non, était attachée dans sa compréhension du monde et dans sa propre expérience »[21]. Le fil conducteur de la tradition nous guide dans les méandres du présent et de l’avenir.

« Le désenchantement du monde : c’est encore trop peu de dire qu’aujourd’hui il nous accable. En matière de `chose politique’, de quelque manière qu’on l’entende, les réalités ont souvent été scabreuses et il y a bien longtemps qu’on se lamente, qu’on s’indigne, qu’on proteste, qu’on condamne et qu’on résiste. Que la politique soit maléfique, qu’elle charrie avec elle tout un défilé de pratiques malfaisantes, implacables ou perverses, c’est là une plainte aussi vieille que le monde. La politique est le champ des rapports de force. La passion du pouvoir corrompt. L’art de gouverner est celui de tromper les hommes. L’art d’être gouverné est celui d’apprendre la soumission, laquelle va de l’obéissance forcée à l’enchantement de la servitude volontaire. Personne n’ignore ces banalités, et pourtant elles n’en existent pas moins »[22]

Les problèmes du passé semblent se répéter des générations en générations. L’organisation de la cité s’améliore un peu là où les hommes et femmes courageux ont su résister à la forfaiture des gouvernants et s’est transformée en désenchantement là où les citoyens se sont laissé traîner du bout du nez par les dirigeants. C’est ainsi que souvent la politique a été considérée comme un mal ou une rationalité indexée au mal – car les politiciens utilisent leur rationalité pour le mal. On dirait alors que la politique est une rationalité moindre et un moindre mal. C’est l’identification traditionnelle de la politique et du mal – surtout au mensonge. La politique, depuis le machiavélisme, « était l’incarnation hyperbolique du mal, son abcès de fixation, le kingdom of darkness »[23].

Un monde sans repères est un monde voué à la destruction. Alexis de Tocqueville n’avait pas tort de dire que si le passé n’éclaire plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres[24]. Dans la vague des conférences souveraines des années 90, tous les pays africains recherchaient un autre mode de gouvernance, la démocratie. Cette dernière a été réclamée à cors et à cris au prix du sang de beaucoup de citoyens dans tous ces pays. Dans le cas de la République démocratique du Congo, par exemple, la rébellion de l’AFDL était venue sonner le glas d’un pouvoir dictatorial tant décrié. Le souci et le slogan étaient de retourner la souveraineté au peuple pour une gestion de la res publica plus transparente et au bénéfice du peuple. Aujourd’hui, vingt et un an après, que reste-il de cet idéal de démocratie pour lequel des nombreux citoyens ont laissé leurs peaux ! De tous ces pays africains qui ont souhaité embrasser à bras le corps la démocratie, très peu ont gardé le cap. Les chansons à l’honneur des guides éclairés d’autrefois refassent surface sous d’autres formes. Alors que l’on pensait que plus jamais personne ne dirigerait le pays ad vita aeternam, les thuriféraires d’un nouveau genre sont nés des cendres des anciennes dictatures.

On connait sans nul doute l’histoire d’Hitler qui dépluma – devant ses collaborateurs – une poule et la laissait le suivre dans la pièce, malgré la douleur, pour recevoir quelques miettes de blé qu’il laissait tomber. Aux yeux stupéfaits de ces collaborateurs, la leçon d’Hitler était que c’est ainsi qu’on gouverne facilement les idiots car malgré qu’il l’ait déplumée, la poule continue à courir derrière lui. De même, certains sont prêts à lécher les bottes du chef malgré qu’il leur ait enlevé toute dignité. Pour des petits avantages matériels, beaucoup de gens perdent leur dignité et leur capacité de penser. L’on tient alors un discours stéréotypé qui est débité à longueur des journées par tous les collaborateurs. C’est donc l’incapacité de penser.

Par leurs comportements, certaines personnes peuvent être qualifiées de monstres. L’homme parait ainsi être les plus inquiétants des créatures. Ces monstres existent mais, à en croire Arendt, ils sont peu nombreux. Ceux qui sont les plus dangereux, ce sont les hommes ordinaires, les fonctionnaires prêts à croire et à obéir sans discuter, comme Eichmann. Ces genres des personnes se retrouvent à tous les niveaux de la gestion publique. Ces fonctionnaires sans scrupule tracassent les autres citoyens et posent des actes incompréhensibles pour toute personne usant réellement de sa raison. Pour eux, ils ne font que leur devoir et sont incapables de fournir une explication plausible de leur agir.

Contre le désenchantement ou la radicalisation négative de la politique, des hommes se sont levés au cours de l’histoire de l’humanité pour une radicalisation symétrique et inversée. La politique ne devrait plus être perçue et voulue comme une emprise maléfique de l’homme sur l’homme, mais bien plutôt comme une reformation et une œuvre de salut. C’est le sens qu’on pourrait donner aux différentes révolutions politiques survenues dans l’histoire. Lorsque la politique moderne (celle révolutionnaire) s’est donnée la tâche de changer le monde et de changer la vie, alors la « `sainteté’ a investi l’œuvre politique et la politique est devenue l’abcès de fixation de la volonté du bien : le kingdom of lightness »[25]. Il y a oscillation entre la déchéance et l’exaltation, l’identification au mal et le renversement dans le bien.

La communauté politique offre à l’homme le lieu d’actualisation de ses potentialités proprement humaines. En devenant politique, l’occasion lui est donné de se révéler, l’existence plurielle se règle. C’est dans ce contexte que la parole et la raison fondent la possibilité du lien humain. La parole s’adresse à une communauté d’interlocuteurs et l’on raisonne en tenant compte des autres êtres raisonnables. Celui qui raisonne le fait aussi en lieu et place des autres, c’est tout le sens de l’impératif catégorique de Kant. Cela signifie la « reconnaissance du semblable par le semblable, par l’imagination et la sympathie expansive qui à la fois nous portent vers autrui et nous font exister à ses yeux »[26].

En analysant la situation des pays africains, et en particulier de la République Démocratique du Congo, on peut se demander si nous avons appris les leçons de notre passé. Les gens se sont battus de plusieurs manières pour la démocratie. Trente deux ans de dictature étaient une expérience que personne ne voulait plus revivre. La dictature c’était l’enfer. « L’enfer, installé sur la terre avant et non après la mort, c’est le lieu où la vie disparait alors que l’homme est encore vivant, où le matériau humain – qui n’a plus rien `d’humain’ – se traîne interminablement dans l’attente d’une mort qui n’est plus une mort, en sorte qu’on ne sait plus très bien si le dit matériau convient à l’animal, à la bête sauvage ou à l’homme »[27]. Comment peut-on vouloir revenir à la même situation d’antan sous des formes déguisées ?
Notre réponse à cette interrogation est que nous sommes en pleine banalité du mal, c’est-à-dire devant des politiciens et fonctionnaires incapables de penser par eux-mêmes. La répression devient le mode opératoire au lieu de l’usage de la parole pour convaincre les autres interlocuteurs de ses opinions (et non de la vérité). Il faut convaincre par la persuasion  et non au bout du canon. La communauté politique est en réalité une communauté d’égaux. Et une telle communauté « doit assurer l’alternance des fonctions de commandement et de subordination. Tous les citoyens doivent nécessairement avoir pareillement accès à tour de rôle aux fonctions de gouvernants et à celles de gouvernés »[28]. On peut se référer ici au fameux voile d’ignorance de John Rawls. La démocratie part du principe de l’isonomie. Et c’est sûrement sur base de ce principe athénien de la démocratie que la justice peut devenir la vertu matricielle de la communauté politique – d’autant plus qu’elle concerne au premier plan nos rapports avec autrui. Et toute la lutte africaine, et congolaise, des années 90 pour la démocratie, visait l’isonomie et la justice (surtout distributive) pour un bien vivre ensemble avec et pour autrui.
La communauté politique, la polis, devrait être le lieu où les hommes réalisent leurs virtualités le plus hautes, par la parole et l’action pour devenir immortels comme le pensaient les grecs ; ce serait le lieu de la liberté, comme le pense Arendt. Malheureusement, nous sommes tombés dans la logique des penseurs modernes qui voient dans la Cité le souci de la survie, de la sécurité et de la conservation de soi. En ce moment là beaucoup s’attachent au Léviathan, à celui qui a l’exercice du pouvoir pour la survie et la conservation de soi. La conséquence logique c’est qu’on ne va pas à l’encontre de la main qui vous nourrit. Le Léviathan devient alors le penseur. Les autres citoyens ne sont que des simples exécutants de sa pensée. Nous savons que Hobbes concevait l’état civil (status civilis) comme le dessaisissement de ce que l’homme était capable de faire dans l’état de nature (status naturalis) qui est un état de guerre (status belli), une situation invivable. Pour ce faire, le Léviathan ne pouvait requérir de ses sujets qu’une obéissance en contrepartie d’une garantie de survie et de protection pour leur vie. Serait-il alors faux d’affirmer que nos politiciens cherchent à tout prix à conserver leur existence biologique brute au mépris de leur intelligence et de leur dignité d’hommes et d’universitaires (pour la plupart !). Leur conatus est un conatus  d’auto-conservation qui équivaut à « ne pas mourir », à « défendre le ventre » au mépris du cerveau.
Sinon, comment comprendre la situation de crise politique que nous vivons partout en Afrique alors que les opposants aux régimes du hier sont aux commandes. Les reproches formulés aux anciens gouvernants valent aujourd’hui pour eux : les libertés sont étouffées, la situation sociale de la majorité se dégrade de plus en plus pendant que les dirigeants se la coulent douce, les infrastructures vont de mal en pis. Mais chaque jour, on entend des discours qui viennent d’une autre planète. On dirait que la population vit dans un autre monde que celui des gouvernants. En RD Congo, par exemple, les agents de la MOPAP (Mobilisation et propagande populaire – du temps de la dictature mobutienne) ont trouvé leur équivalent dans les Communicateurs de la Majorité. Comme les agents de la MOPAP, les communicateurs aussi ne font que leur devoir – parfois sans conviction. Ne faire que son devoir, dans ce contexte, devient une incapacité de penser. Peut-on alors donner raison à Arendt lorsqu’elle nous dit que savoir vivre avec soi-même est une considération qu’ignore la politique – sauf dans les situations-frontières ?[29] Même si la faculté de juger  est différente de la faculté de penser, les deux facultés sont intimement liées. La première se réfère aux cas particuliers, pour pouvoir dire « c’est beau », « c’est mal », tandis que la seconde s’occupe de représentations d’objets absents. Le jugement réalise la pensée. C’est grâce à la pensée que le jugement devient apte à pouvoir distinguer le bien du mal. Cette aptitude est la potion magique qui peut détourner l’homme des catastrophes.

Conclusion

Nous pouvons certes considérer la crise comme étant déstabilisatrice, mais la potentialité qu’elle devienne libératrice et créatrice est réelle là où les hommes et les femmes d’une communauté échangeant des actes publics sont capables de penser. Le problème principal du `manque de pensée serait « qu’il nous prive des moyens de prendre de la distance à l`égard de la réalité et donc d’interroger nos comportements »[30]. Nous devons nous éloigner de la distinction du Moyen-Age entre la vie de l’homme dans le monde et l’homme solitaire (l’homme face à lui-même), c’est-à-dire entre la vita activa et la vita contemplativa. Dans la vie de chaque jour, l’homme combine ces deux aspects de son être-homme. L’homme capable de se retirer, de temps en temps, dans la région invisible de l’esprit doit être à mesure d’apporter dans son être-dans-le monde les « fruits » de sa retraite.

A tous ces fonctionnaires qui commettent des crimes au nom du devoir, nous donnons ce conseil de Socrate : « mieux vaut être traité injustement que de commettre un tort ». Pour vivre avec une conscience digne, chacun devrait avoir ce rapport silencieux permettant de soumettre à l’examen critique ce que l’on dit et ce que l’on fait. C’est ce dialogue qui nous permettra de ne pas nous contredire. Sans le dialogue du moi avec moi-même, on n’aura jamais des regrets des actes posés.

Je voudrais terminer mon propos avec ces idées d’Arendt : « Quand tout le monde se laisse emporter, sans réfléchir, par ce que font et croient les autres, ceux qui pensent sont obligés de sortir de leur trou, car le refus d’entrer dans la danse est flagrant et se transforme en une espèce d’action. Dans les situations d’urgence de ce type, il se révèle que l’élément de purgation contenu dans la pensée (…) est implicitement politique »[31].

Professeur. Dr. Okey Willy
Professeur des Universités 



Bibliographie

ARENDT, Hannah, Condition de l’homme moderne. Traduit de l’anglais par Georges FRADIER,
                Préface de Paul RICŒUR, Paris, Calman-Lévy, 2000 (c.1961). Coll. « Agora Pocket ».
-          La crise de la culture. Huit exercices de la pensée politique. Traduit de l’anglais sous la direction de Patrick LEVY, Paris, Gallimard, 1972. (Coll. « Folio Essais », 1985).

-          Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal. Traduction de l’anglais par Anne GUERIN, Révision par Martine LEIBOVICI, Présentation par Michèle-Irène BRUDNY de LAUNAY, Paris, Gallimard, 2002 (c.1991). Coll. « Folio Histoire ».

-          Considérations morales, Précédé d’un essai de Mary McCARTHY. Traduit de l’anglais par Marc DUCASSOU, Paris, Payot et Rivages, 1996.

-           La vie de l’esprit. Traduit de l’américain par Lucienne LOTRINGER, Paris, Quadrige/PUF, 2005.

-          Juger. Sur la philosophie politique de Kant. Traduction française de M. REVAULT d’Allones. Suivi de deux essais interprétatifs par Ronald BEINER et M. REVAULT d’Allones.

EHRWEIN Nihan, C., Hannah Arendt : Une pensée de la crise. La politique aux prises avec la
                          morale et la religion, Genève, Labor et Fides, 2011.

OKEY Mukolmen, Willy, Agir politique et banalité du mal. Repenser la politique avec Hannah
                             Arendt. Préface de Nestor MBOLOKALA Imbuli, Morolo, IF Press, 2008.

REVAULT D’ALLONES, Myriam, Ce que l’homme fait à l’homme. Essai sur le mal politique, Paris,                  
                            Flammarion, 2000.

TOCQUEVILLE, Albert, De la démocratie en Amérique II, Paris, Robert Laffont, 1986.


Mots clés : Banalité du mal, incapacité de penser, oubli, pensée et jugement

Key words : Banality of evil, inability to think, oversight, thinking and judgment



[1] H. ARENDT, La vie de l’esprit. Traduit de l’américain par Lucienne LOTRINGER, Paris, Quadrige/PUF, 2005, p.238.
[2] Cf. W. OKEY Mukolmen, Agir politique et banalité du mal. Repenser la politique avec Hannah Arendt. Préface de                Nestor MBOLOKALA Imbuli, Morolo, IF Press, 2008.
[3] H. ARENDT, La vie de l’esprit, op.cit, p.23.
[4] J.M. FERRY, Préface in C. EHRWEIN Nihan, Hannah Arendt : Une pensée de la crise. La politique aux prises avec la morale et la religion, Genève, Labor et Fides, 2011, p.14.
[5] H. ARENDT, La vie de l’esprit, op.cit., p.21. Ce qui frappait Arendt chez Eichmann, « c’était un manque de profondeur évident, et tel qu’on ne pouvait faire remonter le mal incontestable qui organisait ses actes jusqu’au niveau plus profond des racines ou des motifs. Les actes monstrueux, mais le responsable – tout au moins le responsable hautement efficace qu’on jugeait alors – était tout à fait ordinaire, comme tout le monde, ni démoniaque ni monstrueux. Il n’y avait en lui trace ni de convictions idéologiques solides, ni de motivations spécifiquement malignes, et la seule caractéristique notable qu’on décelait dans sa conduite, passée ou bien manifeste au cours du procès et au long des interrogatoires qui l’avaient précédé, était de nature entièrement négative : ce n’était pas de la stupidité, mais un manque de pensée » (La vie de l’esprit, p. 21).
[6] Cf. H. ARENDT, Considérations morales. Précédé d’un essai de Mary McCARTHY. Traduit de l’anglais par Marc DUCASSOU, Paris, Payot et Rivages, 1996, p.25-26.
[7] H. ARENDT, La vie de l’esprit, op.cit., p.32.
[8] J.M. FERRY, Op.Cit., p.14.
[9] H. ARENDT, La vie de l’esprit, op.cit., p.22.
[10] H. ARENDT, Considérations morales, op.cit., 1996, p. 27.
[11] Ibid., p.34.
[12] Arendt le dit en ces termes : « L’incapacité de penser n’est pas le défaut des légions de gens qui manquent d’intelligence, mais une possibilité qui, sans arrêt, guette tout un chacun – y compris les hommes de laboratoire, les érudits et autres spécialistes de l’équipe mentale. Tout le monde peut être amené à fuir ce rapport à soi-même dont Socrate a, le premier, découvert qu.il était réalisable et important » (H. ARENDT, La vie de l’esprit, op.cit., p. 249).
[13] H. ARENDT, La vie de l’esprit, op.cit., p. 217.
[14] Cf. ibid., p. 249 – 250.
[15] M. REVAULT D’ALLONES, Ce que l’homme fait à l’homme. Essai sur le mal politique, Paris, Flammarion, 2000, p.12.
[16] Ibid., p.44.
[17] M. REVAULT D’ALLONES, Ce que l’homme fait à l’homme, op.cit., p.46.
[18] Ibid., p.15.
[19] M. REVAULT D’ALLONES, Ce que l’homme fait à l’homme, op.cit., p.28.
[20] Ibid., p.29.
[21] H. ARENDT, La crise de la culture : tradition et l’âge moderne, p.38.
[22] M. REVAULT D’ALLONES, Ce que l’homme fait à l’homme, op.cit., p.11.
[23] Ibid., p.12.
[24] Cf. A. TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique II, Paris, Robert Laffont, 1986, p. 657.
[25] M. REVAULTD’ALLONES, Ce que l’homme fait à l’homme, op.cit., p.12.
[26] Ibid., p.30.
[27] Ibid., p.17.
[28] M. REVAULT D’ALLONES, Ce que l’homme fait à l’homme, op.cit., p.98.
[29] Cf. H. ARENDT, La vie de l’esprit, op. cit., p. 250.
[30] J.M. FERRY, Op. Cit., p. 14.
[31] H. ARENDT, La vie de l’esprit, op.cit., p.251.