Démocratie ou Africanocratie?
Depuis le vent qui avait soufflé à
la fin des années 1980 en Europe de l’Est et ayant abouti au démembrement du
géant russe, les pays africains se sont tournés vers la démocratie par une
série d’événements : conférences nationales souveraines, libéralisation
des partis politiques, libéralisation de l’espace médiatique, organisations des
élections… A première vue, l’Afrique semble avoir pris le train de la
démocratie. Mais un regard critique sur le déroulement des événements me fait
penser aux contradictions flagrantes qu’entretiennent les tireurs des ficelles
externes et les dirigeants africains.
Je voudrais me donner la tâche de
relever certaines de ces contradictions pour montrer que l’Afrique
d’aujourd’hui est loin de jouer le jeu de la démocratie ; elle parle d’un
autre mode de gouvernance de la société, sauf de la démocratie à laquelle elle
prétend. Mon hypothèse est que l’Afrique ou, mieux, les dirigeants africains
ont créé un nouveau mode de gouvernance de la res publica qui n’a pas encore de nom dans le vocabulaire politique
moderne et contemporain ; c’est ce nouveau mode de gouvernance que
j’appelle africanocratie. Elle n’est
ni monarchie, ni tyrannie, ni aristocratie,
ni oligarchie, ni démocratie ; c’est une véritable « salade »
qui prend en son sein les éléments de toutes ces formes de pouvoir. C’est un
serpent à plusieurs têtes. Je ne saurai pas développer dans un tel cadre les
différents éléments constitutifs de chacun de ces modes de gouvernance de la
société, mais le lecteur avisé pourra découvrir, à travers le texte, les éléments qui appartiennent à tel ou tel autre
approche.
Je montrerai dans un premier temps les
piliers essentiels de la démocratie et les contradictions par rapport à son
application en Afrique. Dans un deuxième moment, je relèverai quelques éléments
qui empêchent l’Afrique d’émerger politiquement.
1.
La Démocratie
Depuis ses origines athéniennes, parler de démocratie
c’est avoir en tête certains éléments fondamentaux de ce mode particulier de la
gestion de la res publica. La
philosophie politique moderne, surtout avec Montesquieu a ajouté d’autres
éléments. Essayons de relever certains de ces éléments que je considère comme
étant les piliers de toute démocratie au regard de la réalité africaine.
a. L’égalité des citoyens devant la loi
Le monde athénien insistait sur l’égalité devant la loi (isonomia) de tous les citoyens dans la prise de parole dans l’agora. Cette idée de l’égalité dans cet
espace public est devenue avec l’évolution de la démocratie un point focal de
toute société démocratique. L’égalité de tous devant la loi a recadré les
turpitudes de beaucoup de dirigeants au long de l’histoire du monde. Les
monarques, les tyrans, les aristocrates ou les oligarques ont été obligés de
réviser leur copie de la direction des Etats en comprenant que leurs offices ne
leur donnaient pas un droit au-dessus des constitutions de leurs pays. Cette
évolution prend corps surtout après les différentes révolutions du 18ème,
19ème et 20ème siècles. Les différents peuples ont poussé
les dirigeants à ces changements.
En Afrique, entretemps, c’est le « retour » à
une stratification de la société qui fait qu’il y a des intouchables, des personnes qui se foutent éperdument des lois de
leurs pays. Ces gens, ce sont les gouvernants, leurs courtisans et leurs
membres de familles. Ceci peut se remarquer dans les petits faits comme par
exemple le respect du code de la route. Les membres des familles des dirigeants
africains manifestent leur arrogance dans plusieurs domaines de la vie
publique : non paiement des frais de douane, non respect des procédures
judiciaires (un seul saut d’humeur suffit pour mettre un
« adversaire » en prison), ponction dans les caisses de l’Etat,
actionnaires fictifs dans différentes sociétés pour favoriser l’évasion
fiscale… La liste n’est pas exhaustive. Comme on peut le constater, les membres
des familles – même sans mandat public officiel – ont plus de pouvoir et
d’autorité que les vrais détenteurs de ce mandat.
L’égalité pour tous signifierait aussi aujourd’hui
l’égalité de chance pour tous. Le plus méritant devrait, en principe, occuper
un poste convoité. Il n’est pas le cas ; le trafic d’influence déstabilise
tout processus de recrutement véridique. « L’homme qu’il faut à la place
qu’il faut » devient un leurre. Au lieu d’une aristocratie (une classe des
hommes capables), on est dans une oligarchie (une classe des gens qui ont des
moyens économiques ou une grande influence politique).
b. La liberté
Il n’y a pas de démocratie sans défense de la
liberté ; cette dernière est l’épine dorsale de toute démocratie. C’est à
elle que se réfère le commun des mortels de nos pays africains :
« nous sommes en démocratie ». Dans le monde grec, cette liberté
était avant tout une liberté d’expression (isegoria).
Tout citoyen avait le droit d’exprimer librement son opinion dans l’agora. Il fallait ainsi défendre son
opinion par la persuasion ;
c’est grâce à cette dernière qu’on pouvait rallier plus de monde à sa cause ou,
disons mieux, à sa vision de la gestion de la polis. Cette notion de liberté d’expression est devenue un des
éléments fondamentaux de la démocratie contemporaine.
A l’idée de la liberté d’expression s’est ajoutée la
notion de la liberté d’association. Au lieu de faire avancer chacun dans son
coin son opinion sur la gestion de la cité, les hommes ont trouvé qu’il était
souhaitable de le faire en association ; d’où la naissance de regroupements
politiques. Aujourd’hui il n’y a pas que les partis politiques mais aussi des
associations de la société civile qui travaillent en synergie pour un bien et
mieux-vivre ensemble. Si les partis politiques se focalisent sur la conquête,
l’exercice et la conservation du pouvoir, la société civile veille au grain
pour que la gestion de la chose publique se passe selon certaines normes
constitutionnelles et pour le bien de toute la communauté.
Dans le cadre
africain, la liberté d’expression est un simple saupoudrage pour ne pas faire
piètre figure devant la communauté internationale. Les medias sont en odeur de
sainteté quand ils encensent les gouvernants et sont fermés par simple saut
d’humeur de ceux qui ont le pouvoir de les ouvrir ou de les fermer à leur gré.
La conséquence est que la plupart de médias jouent le jeu des pouvoirs pour
éviter tout ennui ; seuls les hommes courageux prennent le risque de
défier les pouvoirs établis pour garder intact leur dignité journalistique.
Quant aux regroupements politiques, beaucoup ne sont que des « partis
alimentaires » à la solde des régimes africains. Souvent, les partis se
constituent sur base clanique, tribale ou régionale. Même quand un parti donne
l’impression d’être nationale, une analyse approfondie montre que, dans le fond,
le caractère familial, clanique, tribale ou régionale est un cancer qui ronge
la vie politique africaine. La
suppléance dans les institutions du mari par l’épouse, du père par le fils, de
l’oncle par le neveu, du beau-frère par la belle-sœur ou beau-frère est monnaie
courante. Sommes-nous en monarchie ou en tyrannie, aristocratie ou
oligarchie !
c. La séparation des pouvoirs
Montesquieu a distingué les trois types traditionnels de
pouvoir que la démocratie contemporaine entend respecter pour une vie
harmonieuse. La cité fonctionne sans couac quand le législatif légifère pour le
plus grand bien de la société et contrôle l’exécutif, ce dernier organise la
vie de la cité par un système de gestion transparent et une justice
distributive équitable, et, enfin, le judiciaire s’assure de l’application de la loi
dans l’impartialité. Les pays dit des vieilles démocraties ont survécu aux
soubresauts des monarques et autres politiciens par une séparation nette de ces
trois pouvoirs.
L’Afrique montre des graves lacunes quant à la vraie
séparation des pouvoirs. Les assemblées nationales ou régionales sont, pour la
plupart, des caisses de résonnance des présidents de leurs pays. Les lois sont
taillées sur mesure, le contrôle parlementaire sur l’exécutif se fait à coût
des billets de banque ; l’exécutif est au service d’une certaine classe et
pour des intérêts égoïstes que pour ceux de la nation. Le pouvoir judiciaire
n’est pas en odeur de sainteté non plus ; ici c’est la corruption, le
trafic d’influence et tant d’autres antivaleurs qui ont pignon sur rue. Tout
tourne autour du Chef de l’Etat.
d. L’alternance au pouvoir
La démocratie exclut toute « éternité » au
pouvoir. Les partis politiques « vendent » leurs projets de société à
la population ; quitte à cette dernière d’adhérer à un des projets lui
présentés en votant les candidats du parti qui semble répondre à ses attentes. Chaque
parti ou chaque coalition vise la conquête du pouvoir, entend l’exercer
pleinement et espère le conserver le plus longtemps possible en montrant à la
population que son projet de société reste le meilleur et qu’il est efficace et
a un impact réel sur la vie des citoyens. L’opposition est alors une voie
alternative que le peuple pourrait choisir pour « punir »
l’incompétence ou l’incapacité des gouvernants à trouver des solutions aux
besoins de la population.
Alors qu’ailleurs, c’est la majorité qui gouverne tandis
que l’opposition surveille et propose des alternatives au mode de gestion en
place, en Afrique c’est le « gouvernement de cohésion nationale » qui
est devenu la règle d’or. De telles formules sont même soutenues ou proposées
par les pays des vieilles démocraties, les vrais tireurs des ficelles. En
mettant en place de tels gouvernements, ne donnons-nous pas raison au président
d’un pays occidental qui disait que la démocratie n’est pas pour les africains !
Ce sont les faiseurs des rois qui dictent l’organisation de nos Etats. Comment
d’ailleurs parler de souveraineté ou refuser les injonctions des puissances
étrangères quand on sait que l’organisation des élections dépend, en grande
partie, du financement extérieur. Ces puissances ne font pas de la charité,
elles doivent trouver leurs comptes. Quoi de plus normal que de nous imposer
des schémas mi-figue mi-raisin que les tireurs des ficelles n’ont pas chez
eux ou ne pourront jamais accepter chez eux: 1 + 4 (RD Congo), création de
toute pièce d’un poste de premier ministre en révisant la constitution pour le
besoin de la cause (Kenya, Zimbabwe), gouvernement de « cohésion
nationale », etc. Franchement ! Où sont les intellectuels africains,
pourrait se demander le commun des mortels. Peut-on encore parler d’opposition
veillant sur la conduite des affaires de l’Etat quand tous se retrouvent aux
commandes !
2.
L’Africanocratie
Comme la démocratie a ses règles de base pour être
reconnue telle partout dans le monde contemporain, je me suis évertué à
rechercher les fondamentaux de l’Africanocratie.
Ces quelques « commandements » ne constituent pas une liste
exhaustive ; le lecteur pourra toujours en ajouter d’autres. En voici donc
quelques uns :
1. Tu ne démissionneras jamais de ton poste
Le mot « démission » ne fait pas partie du
vocabulaire du politicien africain. Dans les pays de vieille démocratie,
quelqu’un qui est cité dans une affaire qui pourrait amener à l’ouverture d’une
procédure judiciaire se retire volontairement de son office afin de laisser à
la justice les mains libres pour mener ses enquêtes. Même se sachant innocent,
il veut redorer son blason en voulant être blanchi de toute faute par la
justice. C’est le sens de l’honneur et de la dignité qui doit animer toute
personne responsable. La scène politique africaine laisse voir des gens qui
n’ont aucun sens de l’honneur. Même quand il peut se rendre lui-même compte de
son incompétence, il s’accrochera contre vents et marées. Le politicien
africain doit être forcé de « dégager » parce que le faire de sa
propre initiative serait un véritable rêve. Certains s’entêtent même dans leur
volonté de garder leurs postes malgré les appels fusant de toute part. Les
formules telle que « y a en marre », « dégage » deviennent
des vrais formes de pression venues des populations africaines.
La démission peut être aussi le résultat d’un désaccord
avec la vision du Chef. Mais a-t-on le courage de dire clairement à ce dernier
que l’on ne partage pas le même avis que lui ! Ce serait du lèse majesté.
On se fait ridiculiser sans jamais élever sa petite voix et montrer les
incohérences d’un système affameur de son peuple. Pas étonnant d’entendre de la
bouche des politiciens africains que ce n’est pas facile de démissionner quand
on est déjà dans l’engrenage car on risque d’y laisser sa peau.
2. Tu feras toujours croire au chef que tout va bien
La flatterie et les intrigues minent la vie politique
africaine. Que des discours flatteurs ! Des noms sont donnés au Chef pour
montrer qu’on est loyal (au Congo Kinshasa, par exemple, Mobutu avait des
qualificatifs de toutes sortes forgés par la machine propagandiste). Même quand
au fond du cœur, on sait que ce sont des bobards, il faut faire croire au Chef
que le peuple est derrière lui et adhère totalement à son projet de
société ; les quelques dissonances qu’il y a ne sont que l’exception qui
confirme la règle. Combien des chefs d’Etat n’ont pas été surpris du contraire
quand le peuple en avait vraiment ras le bol. Ceux qui ont eu le courage de faire
leur propre enquête sur terrain se sont rendus compte qu’ils se sont faits
rouler par le cercle des flatteurs. Ceci explique le retournement brusque de
situation à la moindre occasion propice pour le peuple et les thuriféraires
sont les premiers à détaler pour revenir plus tard sous un autre manteau.
3. Tu défendras ton ventre, jamais le peuple
Quand le ridicule ne tue pas ! A-t-on des hommes
d’Etat ou des politiciens en Afrique. Pour la plupart de cas, je serai enclin
de dire que nous avons plus des politiciens et très peu des hommes d’Etat.
L’homme d’Etat c’est celui qui entre en politique pour défendre et chercher le
bien de son peuple ; le politicien, lui, est un prédateur qui entre en
politique pour défendre ses intérêts égoïstes – surtout son ventre.
Au Congo Kinshasa, par exemple, toute sortie d’un nouveau
gouvernement entraine des réjouissances dans le cercle familial et dans celui
des amis du nouveau promu. Que cachent-elles ? Mon interprétation c’est
que la famille se réjouit du fait que ses membres peuvent maintenant être
comptés parmi ceux qui vont « bénéficier » des richesses du pays. C’est
leur tour ! D’où la mise en place des cabinets pléthoriques avec des
oncles, petits frères et sœurs, beaux-frères et belles-sœurs, des cousins et
cousines, des copines. Peu importe les compétences, il faut trouver un poste
pour tout le monde. La famille doit manger. Peut-on avoir de l’efficacité dans
un tel contexte ! C’est tout un pays qui paye les frais des telles
pratiques.
4. Tu seras opposant tant que tu n’es pas au gouvernement
Contrairement aux vieilles démocraties où l’opposition
est une véritable force alternative au gouvernement en place, dans nos pays
l’opposition est « alimentaire ». Parfois l’on se demande s’il y a
vraiment une opposition. Au lieu d’être une force veillant et montrant les
failles dans le mode de gestion du gouvernement, on se rend vite compte que
quand une opportunité d’entrer au gouvernement se présente, on est prêt à
sauter dessus. Alors que la démocratie voudrait que la majorité gouverne et la
minorité constitue une alternative, les africains sont connus pour des gouvernements
d’union nationale, de cohésion nationale, de salut public. Il semblerait que
c’est pour le besoin de la paix. Cette idée est même soutenue, pourquoi pas
forcée, par les pays de vieilles démocraties. Tout le monde peut-il être au
gouvernement au même moment ?
5. Tu parleras haut et fort pour être remarqué par le chef
Ceux qui parlent haut et fort ne sont pas que des
flatteurs du pouvoir ; il y a aussi les « opposants » au régime.
La visée dans la prise de parole semble assez souvent être la même : se
faire remarquer par le Chef. La stratégie pour se faire remarquer est celle de
passer dans plusieurs chaines de télévision soit pour vanter les prouesses du
Chef (quand on est du camp présidentiel) ou pour le vilipender (quand on se dit
opposant). Dans le premier cas, on voudrait être reconnu comme un loyaliste
capable de défendre le Chef et battre sa campagne le moment venu ; ce qui
vaudra un poste dans les arènes du pouvoir. Dans le deuxième cas, on espère
être approché par les hommes du Chef pour une « conciliation » ;
soit un poste est proposé soit une enveloppe consistante est déboursée pour
accepter de se taire. Le président Mobutu disait que ceux qui faisaient trop de
bruit le jour devenaient dociles la nuit quand ils recevaient les billets de
banque. Quand arrive la mise en place d’un gouvernement d’union nationale, de
cohésion nationale ou de salut public, « les faiseurs de bruit »
s’attendent à être parmi les nominés au gouvernement ou à la direction des
entreprises publiques.
6. Tu seras toujours prêt à changer de manteau
En analysant de près la vie politique en Afrique, on se
rendra bien compte que les politiciens africains n’ont pas de conviction
politique ou, mieux, des réels idéaux à défendre. Leurs positions dépendent des
opportunités du moment. « Le poisson suit l’eau », dit un proverbe
africain. Le passage d’un regroupement politique à l’autre ou d’une association
à une autre se fait sans vergogne. Puisqu’on défend son ventre, le politicien
africain adhère à tout mouvement qui peut aider à garantir sa sécurité
alimentaire et des avantages matériels. Le vagabondage politique est donc
monnaie courante. Le farouche opposant du hier peut, à la surprise générale,
devenir le défenseur attitré du régime ou encore le défenseur du hier peut se
transformer, sans transition, en pourfendeur du régime. On va là où l’on trouve
son compte.
Le politicien africain est prêt à se mettre à la
disposition « du plus offrant ». Le changement de régime montre
clairement cette volonté manifeste des politiciens africains à changer de
manteau. Encore une fois, ce n’est pas un idéal ou un projet de société que
l’on défend mais les intérêts égoïstes pour la survie quotidienne.
7. Tu profiteras au maximum de toute opportunité qui te sera
offerte
La lutte acharnée pour un poste de responsabilité se fait
pour l’enrichissement illicite. L’impunité étant la règle d’or, il faudrait
profiter au maximum de son poste car « on ne sait jamais ». Tous les
coups sont permis pourvu qu’on soit retenu parmi les gestionnaires de la chose
publique. Mais puisque personne n’a l’assurance de garder son poste pendant un
certain nombre d’années ou en fonction d’un mandat bien déterminé, il serait
imprudent de ne pas mettre à profit son temps à la direction d’un ministère ou
d’une entreprise publique pour « faire des réserves », car on ne sait
pas quand la chance va encore sourire pour obtenir un tel privilège.
Mettre à profit l’opportunité, c’est engager à volonté
les membres de famille, les amis et connaissances sans considération des
compétences requises ; ils apprendront sur le tas. Profiter, c’est
chercher à construire des maisons ou spolier les biens de l’Etat pour son
profit personnel. Profiter au maximum, c’est multiplier le nombre des femmes
(« bureaux ») et devenir « père d’une famille nombreuse »
(c’est-à-dire dont le nombre d’enfants engendrés ne saurait être dit tout haut
– au risque de scandaliser les bonnes consciences). Profiter au maximum, c’est
intimider les pauvres en leur arrachant le peu qu’ils ont, car la justice sera
toujours du côté de celui qui a une poche pleine.
8. Tu t’opposeras à toute idée d’alternance
Le refus de l’alternance n’est pas le seul fait de ceux
qui sont au pouvoir. Dans un bon nombre de pas africains, les opposants du
hier, une fois arrivés au pouvoir ne font pas mieux. Le tripatouillage des
constitutions est devenu une donne dans l’espace politique africain. On veut
l’alternance quand un autre groupe a les commandes de l’Etat ; une fois au
pouvoir, le discours change.
Le peuple s’étonne du changement de discours de la part
des politiciens. Le discours d’opposition à toute modification de la loi
fondamentale du pays est valable quand on n’a pas les commandes du
pouvoir ; il est différent quand on l’exerce. Le pays comme le Sénégal a
évité de tomber dans ce piège grâce à la vigilance du peuple et le Burkina Faso
est venu mettre du sable dans les velléités des plusieurs dirigeants africains.
Chacun revoit sa copie de réforme pour éviter une sortie par la petite porte.
9. Tu ne respecteras jamais ta parole
« Pardonne-les car ils ne savent pas ce qu’ils
disent », pourraient dire les populations africaines. La période des
campagnes électorales est une période où les politiciens font sortir tout ce
qui leur passe par la tête : des promesses qu’ils ne pourront jamais
tenir. A analyser leurs propos, ils ne savent même pas leurs taches, par
exemple au parlement. Ils promettent d’être des constructeurs que des
parlementaires. Où vont-ils trouver de l’argent pour construire des ponts, des
écoles, etc ! Se rendant compte de leurs promesses creuses, la plupart des
politiciens ne foulent leurs fiefs électoraux qu’à l’approche des nouvelles
échéances électorales. Au lieu d’aller au parlement avec l’idée de défendre les
intérêts de la population, la verve oratoire des politiciens sert plutôt aux
promesses fallacieuses. C’est pour dire qu’on va au parlement sans un agenda
concernant réellement le peuple mais pour défendre, dès l’entrée en fonction,
l’augmentation des émoluments des députés. Le discours du politicien africain
est un discours mensonger qui ne tient que le temps de le prononcer ; la
minute suivante, il est tout autre. Il n’y a qu’à considérer le discours des
opposants du hier, gestionnaires de leurs pays aujourd’hui. Ce que l’on
reprochait aux autres, on le fait soi-même et même pire qu’eux.
10. Tu mettras ton intelligence au service du chef
L’Afrique d’aujourd’hui n’est plus celle des années
60 ; il y a une crème intellectuelle considérable. Plusieurs postes de
responsabilité sont confiés aux universitaires, parmi lesquels les professeurs
d’université. La population africaine se demande si elle n’était pas mieux avec
très peu d’intellectuels qu’avec cette pléthore d’intellectuels affameurs du
peuple. Ceux qui se sont battu pour les indépendances l’ont fait avec
conscience pour l’émancipation de leurs peuples. Aujourd’hui, notre peuple se
demande si avant l’indépendance n’égale pas après l’indépendance !
Affirmer ainsi serait certes tomber dans un pessimisme à outrance, mais une
telle interrogation n’est pas banale au regard de la situation actuelle de
l’Afrique.
L’intellectuel africain met son intelligence au service
du Chef pour mieux paupériser le peuple au lieu de le faire sortir de sa
situation de misère. C’est, selon moi, une intelligence au service du mal.
Toutes les tentatives de révision constitutionnelle dans la plupart des pays
africains est l’œuvre de ces intellectuels affameurs du peuple. Leur
intelligence sert à pérenniser un seul citoyen au pouvoir et bénéficier ainsi
des « faveurs » matériels au grand dam de la population.
L’intelligence se prostitue pour assouvir la soif d’une vie aisée – remettant
ainsi en question tout le cursus éducatif parcouru depuis l’école primaire
jusqu’à l’université.
Le peuple n’a pas tort de dire que ce sont les
intellectuels qui détruisent les pays africains ; le comptable sait
jongler avec les chiffres pour couvrir les malversations financières, le
juriste peut défendre l’indéfendable en utilisant des arguments juridiques, le
communicateur peut user sa verve oratoire pour soutenir une cause perdue… Bref,
l’intellectuel africain déçoit.
Conclusion
Après toutes ces années d’indépendances et toutes les
révolutions de ces dernières années (Perestroïka, printemps arabe, « y en
a marre », « dégage »), on aurait pensé que les politiciens
africains ont appris la leçon ; le refus de se conformer aux exigences de
la démocratie étonne. Le discours des politiciens est que chaque pays a ses
propres réalités ; comparaison n’est pas raison, entend-on dire.
Si l’Afrique entend réellement embarquer dans le train de
la démocratie, elle ne peut pas inventer ses propres règles en contradiction
avec celles de la démocratie telle qu’elle nous vient du monde grec. Il est
vrai que la démocratie n’est pas restée statique dans sa conception depuis les
origines ; il reste cependant vrai que certains traits sont indispensables
pour parler de démocratie. L’Afrique concocte une « macédoine »[1]
qui ne ressemble en rien à une démocratie ; c’est ce que j’appelle africanocratie,
c’est-à-dire un mode de gouvernance de la polis
qui combine les éléments de plusieurs types. Non seulement, les politiciens
africains se fourvoient dans leur conception de la démocratie mais ils se
laissent aussi entrainés par les pays des vieilles démocraties sur des voies
anti-démocratiques.
Prof. Okey Mukolmen Willy
Professeur des
Universités