samedi 7 septembre 2019

Démocratie ou Africanocratie?


Démocratie ou Africanocratie?
            Depuis le vent qui avait soufflé à la fin des années 1980 en Europe de l’Est et ayant abouti au démembrement du géant russe, les pays africains se sont tournés vers la démocratie par une série d’événements : conférences nationales souveraines, libéralisation des partis politiques, libéralisation de l’espace médiatique, organisations des élections… A première vue, l’Afrique semble avoir pris le train de la démocratie. Mais un regard critique sur le déroulement des événements me fait penser aux contradictions flagrantes qu’entretiennent les tireurs des ficelles externes et les dirigeants africains.
            Je voudrais me donner la tâche de relever certaines de ces contradictions pour montrer que l’Afrique d’aujourd’hui est loin de jouer le jeu de la démocratie ; elle parle d’un autre mode de gouvernance de la société, sauf de la démocratie à laquelle elle prétend. Mon hypothèse est que l’Afrique ou, mieux, les dirigeants africains ont créé un nouveau mode de gouvernance de la res publica qui n’a pas encore de nom dans le vocabulaire politique moderne et contemporain ; c’est ce nouveau mode de gouvernance que j’appelle africanocratie. Elle n’est ni monarchie, ni tyrannie, ni  aristocratie, ni oligarchie, ni démocratie ; c’est une véritable « salade » qui prend en son sein les éléments de toutes ces formes de pouvoir. C’est un serpent à plusieurs têtes. Je ne saurai pas développer dans un tel cadre les différents éléments constitutifs de chacun de ces modes de gouvernance de la société, mais le lecteur avisé pourra découvrir, à travers le texte, les  éléments qui appartiennent à tel ou tel autre approche.
      Je montrerai dans un premier temps les piliers essentiels de la démocratie et les contradictions par rapport à son application en Afrique. Dans un deuxième moment, je relèverai quelques éléments qui empêchent l’Afrique d’émerger politiquement.
1.      La Démocratie
Depuis ses origines athéniennes, parler de démocratie c’est avoir en tête certains éléments fondamentaux de ce mode particulier de la gestion de la res publica. La philosophie politique moderne, surtout avec Montesquieu a ajouté d’autres éléments. Essayons de relever certains de ces éléments que je considère comme étant les piliers de toute démocratie au regard de la réalité africaine.
a.       L’égalité des citoyens devant la loi
Le monde athénien insistait sur l’égalité devant la loi (isonomia) de tous les citoyens dans la prise de parole dans l’agora. Cette idée de l’égalité dans cet espace public est devenue avec l’évolution de la démocratie un point focal de toute société démocratique. L’égalité de tous devant la loi a recadré les turpitudes de beaucoup de dirigeants au long de l’histoire du monde. Les monarques, les tyrans, les aristocrates ou les oligarques ont été obligés de réviser leur copie de la direction des Etats en comprenant que leurs offices ne leur donnaient pas un droit au-dessus des constitutions de leurs pays. Cette évolution prend corps surtout après les différentes révolutions du 18ème, 19ème et 20ème siècles. Les différents peuples ont poussé les dirigeants à ces changements.
En Afrique, entretemps, c’est le « retour » à une stratification de la société qui fait qu’il y a des intouchables, des personnes qui se foutent éperdument des lois de leurs pays. Ces gens, ce sont les gouvernants, leurs courtisans et leurs membres de familles. Ceci peut se remarquer dans les petits faits comme par exemple le respect du code de la route. Les membres des familles des dirigeants africains manifestent leur arrogance dans plusieurs domaines de la vie publique : non paiement des frais de douane, non respect des procédures judiciaires (un seul saut d’humeur suffit pour mettre un « adversaire » en prison), ponction dans les caisses de l’Etat, actionnaires fictifs dans différentes sociétés pour favoriser l’évasion fiscale… La liste n’est pas exhaustive. Comme on peut le constater, les membres des familles – même sans mandat public officiel – ont plus de pouvoir et d’autorité que les vrais détenteurs de ce mandat.
L’égalité pour tous signifierait aussi aujourd’hui l’égalité de chance pour tous. Le plus méritant devrait, en principe, occuper un poste convoité. Il n’est pas le cas ; le trafic d’influence déstabilise tout processus de recrutement véridique. « L’homme qu’il faut à la place qu’il faut » devient un leurre. Au lieu d’une aristocratie (une classe des hommes capables), on est dans une oligarchie (une classe des gens qui ont des moyens économiques ou une grande influence politique).
b.      La liberté
Il n’y a pas de démocratie sans défense de la liberté ; cette dernière est l’épine dorsale de toute démocratie. C’est à elle que se réfère le commun des mortels de nos pays africains : « nous sommes en démocratie ». Dans le monde grec, cette liberté était avant tout une liberté d’expression (isegoria). Tout citoyen avait le droit d’exprimer librement son opinion dans l’agora. Il fallait ainsi défendre son opinion par la persuasion ; c’est grâce à cette dernière qu’on pouvait rallier plus de monde à sa cause ou, disons mieux, à sa vision de la gestion de la polis. Cette notion de liberté d’expression est devenue un des éléments fondamentaux de la démocratie contemporaine.
A l’idée de la liberté d’expression s’est ajoutée la notion de la liberté d’association. Au lieu de faire avancer chacun dans son coin son opinion sur la gestion de la cité, les hommes ont trouvé qu’il était souhaitable de le faire en association ; d’où la naissance de regroupements politiques. Aujourd’hui il n’y a pas que les partis politiques mais aussi des associations de la société civile qui travaillent en synergie pour un bien et mieux-vivre ensemble. Si les partis politiques se focalisent sur la conquête, l’exercice et la conservation du pouvoir, la société civile veille au grain pour que la gestion de la chose publique se passe selon certaines normes constitutionnelles et pour le bien de toute la communauté.
      Dans le cadre africain, la liberté d’expression est un simple saupoudrage pour ne pas faire piètre figure devant la communauté internationale. Les medias sont en odeur de sainteté quand ils encensent les gouvernants et sont fermés par simple saut d’humeur de ceux qui ont le pouvoir de les ouvrir ou de les fermer à leur gré. La conséquence est que la plupart de médias jouent le jeu des pouvoirs pour éviter tout ennui ; seuls les hommes courageux prennent le risque de défier les pouvoirs établis pour garder intact leur dignité journalistique. Quant aux regroupements politiques, beaucoup ne sont que des « partis alimentaires » à la solde des régimes africains. Souvent, les partis se constituent sur base clanique, tribale ou régionale. Même quand un parti donne l’impression d’être nationale, une analyse approfondie montre que, dans le fond, le caractère familial, clanique, tribale ou régionale est un cancer qui ronge la vie politique africaine.  La suppléance dans les institutions du mari par l’épouse, du père par le fils, de l’oncle par le neveu, du beau-frère par la belle-sœur ou beau-frère est monnaie courante. Sommes-nous en monarchie ou en tyrannie, aristocratie ou oligarchie !
c.       La séparation des pouvoirs
Montesquieu a distingué les trois types traditionnels de pouvoir que la démocratie contemporaine entend respecter pour une vie harmonieuse. La cité fonctionne sans couac quand le législatif légifère pour le plus grand bien de la société et contrôle l’exécutif, ce dernier organise la vie de la cité par un système de gestion transparent et une justice distributive équitable, et, enfin, le  judiciaire s’assure de l’application de la loi dans l’impartialité. Les pays dit des vieilles démocraties ont survécu aux soubresauts des monarques et autres politiciens par une séparation nette de ces trois pouvoirs.
L’Afrique montre des graves lacunes quant à la vraie séparation des pouvoirs. Les assemblées nationales ou régionales sont, pour la plupart, des caisses de résonnance des présidents de leurs pays. Les lois sont taillées sur mesure, le contrôle parlementaire sur l’exécutif se fait à coût des billets de banque ; l’exécutif est au service d’une certaine classe et pour des intérêts égoïstes que pour ceux de la nation. Le pouvoir judiciaire n’est pas en odeur de sainteté non plus ; ici c’est la corruption, le trafic d’influence et tant d’autres antivaleurs qui ont pignon sur rue. Tout tourne autour du Chef de l’Etat.
d.      L’alternance au pouvoir
La démocratie exclut toute « éternité » au pouvoir. Les partis politiques « vendent » leurs projets de société à la population ; quitte à cette dernière d’adhérer à un des projets lui présentés en votant les candidats du parti qui semble répondre à ses attentes. Chaque parti ou chaque coalition vise la conquête du pouvoir, entend l’exercer pleinement et espère le conserver le plus longtemps possible en montrant à la population que son projet de société reste le meilleur et qu’il est efficace et a un impact réel sur la vie des citoyens. L’opposition est alors une voie alternative que le peuple pourrait choisir pour « punir » l’incompétence ou l’incapacité des gouvernants à trouver des solutions aux besoins de la population. 
Alors qu’ailleurs, c’est la majorité qui gouverne tandis que l’opposition surveille et propose des alternatives au mode de gestion en place, en Afrique c’est le « gouvernement de cohésion nationale » qui est devenu la règle d’or. De telles formules sont même soutenues ou proposées par les pays des vieilles démocraties, les vrais tireurs des ficelles. En mettant en place de tels gouvernements, ne donnons-nous pas raison au président d’un pays occidental qui disait que la démocratie n’est pas pour les africains ! Ce sont les faiseurs des rois qui dictent l’organisation de nos Etats. Comment d’ailleurs parler de souveraineté ou refuser les injonctions des puissances étrangères quand on sait que l’organisation des élections dépend, en grande partie, du financement extérieur. Ces puissances ne font pas de la charité, elles doivent trouver leurs comptes. Quoi de plus normal que de nous imposer des schémas mi-figue mi-raisin que les tireurs des ficelles n’ont pas chez eux ou ne pourront jamais accepter chez eux: 1 + 4 (RD Congo), création de toute pièce d’un poste de premier ministre en révisant la constitution pour le besoin de la cause (Kenya, Zimbabwe), gouvernement de « cohésion nationale », etc. Franchement ! Où sont les intellectuels africains, pourrait se demander le commun des mortels. Peut-on encore parler d’opposition veillant sur la conduite des affaires de l’Etat quand tous se retrouvent aux commandes !
2.      L’Africanocratie
Comme la démocratie a ses règles de base pour être reconnue telle partout dans le monde contemporain, je me suis évertué à rechercher les fondamentaux de l’Africanocratie. Ces quelques « commandements » ne constituent pas une liste exhaustive ; le lecteur pourra toujours en ajouter d’autres. En voici donc quelques uns :
1.      Tu ne démissionneras jamais de ton poste
Le mot « démission » ne fait pas partie du vocabulaire du politicien africain. Dans les pays de vieille démocratie, quelqu’un qui est cité dans une affaire qui pourrait amener à l’ouverture d’une procédure judiciaire se retire volontairement de son office afin de laisser à la justice les mains libres pour mener ses enquêtes. Même se sachant innocent, il veut redorer son blason en voulant être blanchi de toute faute par la justice. C’est le sens de l’honneur et de la dignité qui doit animer toute personne responsable. La scène politique africaine laisse voir des gens qui n’ont aucun sens de l’honneur. Même quand il peut se rendre lui-même compte de son incompétence, il s’accrochera contre vents et marées. Le politicien africain doit être forcé de « dégager » parce que le faire de sa propre initiative serait un véritable rêve. Certains s’entêtent même dans leur volonté de garder leurs postes malgré les appels fusant de toute part. Les formules telle que « y a en marre », « dégage » deviennent des vrais formes de pression venues des populations africaines.
La démission peut être aussi le résultat d’un désaccord avec la vision du Chef. Mais a-t-on le courage de dire clairement à ce dernier que l’on ne partage pas le même avis que lui ! Ce serait du lèse majesté. On se fait ridiculiser sans jamais élever sa petite voix et montrer les incohérences d’un système affameur de son peuple. Pas étonnant d’entendre de la bouche des politiciens africains que ce n’est pas facile de démissionner quand on est déjà dans l’engrenage car on risque d’y laisser sa peau.
2.      Tu feras toujours croire au chef que tout va bien
La flatterie et les intrigues minent la vie politique africaine. Que des discours flatteurs ! Des noms sont donnés au Chef pour montrer qu’on est loyal (au Congo Kinshasa, par exemple, Mobutu avait des qualificatifs de toutes sortes forgés par la machine propagandiste). Même quand au fond du cœur, on sait que ce sont des bobards, il faut faire croire au Chef que le peuple est derrière lui et adhère totalement à son projet de société ; les quelques dissonances qu’il y a ne sont que l’exception qui confirme la règle. Combien des chefs d’Etat n’ont pas été surpris du contraire quand le peuple en avait vraiment ras le bol. Ceux qui ont eu le courage de faire leur propre enquête sur terrain se sont rendus compte qu’ils se sont faits rouler par le cercle des flatteurs. Ceci explique le retournement brusque de situation à la moindre occasion propice pour le peuple et les thuriféraires sont les premiers à détaler pour revenir plus tard sous un autre manteau.
3.      Tu défendras ton ventre, jamais le peuple
Quand le ridicule ne tue pas ! A-t-on des hommes d’Etat ou des politiciens en Afrique. Pour la plupart de cas, je serai enclin de dire que nous avons plus des politiciens et très peu des hommes d’Etat. L’homme d’Etat c’est celui qui entre en politique pour défendre et chercher le bien de son peuple ; le politicien, lui, est un prédateur qui entre en politique pour défendre ses intérêts égoïstes – surtout son ventre.
Au Congo Kinshasa, par exemple, toute sortie d’un nouveau gouvernement entraine des réjouissances dans le cercle familial et dans celui des amis du nouveau promu. Que cachent-elles ? Mon interprétation c’est que la famille se réjouit du fait que ses membres peuvent maintenant être comptés parmi ceux qui vont « bénéficier » des richesses du pays. C’est leur tour ! D’où la mise en place des cabinets pléthoriques avec des oncles, petits frères et sœurs, beaux-frères et belles-sœurs, des cousins et cousines, des copines. Peu importe les compétences, il faut trouver un poste pour tout le monde. La famille doit manger. Peut-on avoir de l’efficacité dans un tel contexte ! C’est tout un pays qui paye les frais des telles pratiques.
4.      Tu seras opposant tant que tu n’es pas au gouvernement
Contrairement aux vieilles démocraties où l’opposition est une véritable force alternative au gouvernement en place, dans nos pays l’opposition est « alimentaire ». Parfois l’on se demande s’il y a vraiment une opposition. Au lieu d’être une force veillant et montrant les failles dans le mode de gestion du gouvernement, on se rend vite compte que quand une opportunité d’entrer au gouvernement se présente, on est prêt à sauter dessus. Alors que la démocratie voudrait que la majorité gouverne et la minorité constitue une alternative, les africains sont connus pour des gouvernements d’union nationale, de cohésion nationale, de salut public. Il semblerait que c’est pour le besoin de la paix. Cette idée est même soutenue, pourquoi pas forcée, par les pays de vieilles démocraties. Tout le monde peut-il être au gouvernement au même moment ?
5.      Tu parleras haut et fort pour être remarqué par le chef
Ceux qui parlent haut et fort ne sont pas que des flatteurs du pouvoir ; il y a aussi les « opposants » au régime. La visée dans la prise de parole semble assez souvent être la même : se faire remarquer par le Chef. La stratégie pour se faire remarquer est celle de passer dans plusieurs chaines de télévision soit pour vanter les prouesses du Chef (quand on est du camp présidentiel) ou pour le vilipender (quand on se dit opposant). Dans le premier cas, on voudrait être reconnu comme un loyaliste capable de défendre le Chef et battre sa campagne le moment venu ; ce qui vaudra un poste dans les arènes du pouvoir. Dans le deuxième cas, on espère être approché par les hommes du Chef pour une « conciliation » ; soit un poste est proposé soit une enveloppe consistante est déboursée pour accepter de se taire. Le président Mobutu disait que ceux qui faisaient trop de bruit le jour devenaient dociles la nuit quand ils recevaient les billets de banque. Quand arrive la mise en place d’un gouvernement d’union nationale, de cohésion nationale ou de salut public, « les faiseurs de bruit » s’attendent à être parmi les nominés au gouvernement ou à la direction des entreprises publiques.
6.      Tu seras toujours prêt à changer de manteau
En analysant de près la vie politique en Afrique, on se rendra bien compte que les politiciens africains n’ont pas de conviction politique ou, mieux, des réels idéaux à défendre. Leurs positions dépendent des opportunités du moment. « Le poisson suit l’eau », dit un proverbe africain. Le passage d’un regroupement politique à l’autre ou d’une association à une autre se fait sans vergogne. Puisqu’on défend son ventre, le politicien africain adhère à tout mouvement qui peut aider à garantir sa sécurité alimentaire et des avantages matériels. Le vagabondage politique est donc monnaie courante. Le farouche opposant du hier peut, à la surprise générale, devenir le défenseur attitré du régime ou encore le défenseur du hier peut se transformer, sans transition, en pourfendeur du régime. On va là où l’on trouve son compte.
Le politicien africain est prêt à se mettre à la disposition « du plus offrant ». Le changement de régime montre clairement cette volonté manifeste des politiciens africains à changer de manteau. Encore une fois, ce n’est pas un idéal ou un projet de société que l’on défend mais les intérêts égoïstes pour la survie quotidienne.
7.      Tu profiteras au maximum de toute opportunité qui te sera offerte
La lutte acharnée pour un poste de responsabilité se fait pour l’enrichissement illicite. L’impunité étant la règle d’or, il faudrait profiter au maximum de son poste car « on ne sait jamais ». Tous les coups sont permis pourvu qu’on soit retenu parmi les gestionnaires de la chose publique. Mais puisque personne n’a l’assurance de garder son poste pendant un certain nombre d’années ou en fonction d’un mandat bien déterminé, il serait imprudent de ne pas mettre à profit son temps à la direction d’un ministère ou d’une entreprise publique pour « faire des réserves », car on ne sait pas quand la chance va encore sourire pour obtenir un tel privilège.
Mettre à profit l’opportunité, c’est engager à volonté les membres de famille, les amis et connaissances sans considération des compétences requises ; ils apprendront sur le tas. Profiter, c’est chercher à construire des maisons ou spolier les biens de l’Etat pour son profit personnel. Profiter au maximum, c’est multiplier le nombre des femmes (« bureaux ») et devenir « père d’une famille nombreuse » (c’est-à-dire dont le nombre d’enfants engendrés ne saurait être dit tout haut – au risque de scandaliser les bonnes consciences). Profiter au maximum, c’est intimider les pauvres en leur arrachant le peu qu’ils ont, car la justice sera toujours du côté de celui qui a une poche  pleine.

8.      Tu t’opposeras à toute idée d’alternance
Le refus de l’alternance n’est pas le seul fait de ceux qui sont au pouvoir. Dans un bon nombre de pas africains, les opposants du hier, une fois arrivés au pouvoir ne font pas mieux. Le tripatouillage des constitutions est devenu une donne dans l’espace politique africain. On veut l’alternance quand un autre groupe a les commandes de l’Etat ; une fois au pouvoir, le discours change.
Le peuple s’étonne du changement de discours de la part des politiciens. Le discours d’opposition à toute modification de la loi fondamentale du pays est valable quand on n’a pas les commandes du pouvoir ; il est différent quand on l’exerce. Le pays comme le Sénégal a évité de tomber dans ce piège grâce à la vigilance du peuple et le Burkina Faso est venu mettre du sable dans les velléités des plusieurs dirigeants africains. Chacun revoit sa copie de réforme pour éviter une sortie par la petite porte.

9.      Tu ne respecteras jamais ta parole
« Pardonne-les car ils ne savent pas ce qu’ils disent », pourraient dire les populations africaines. La période des campagnes électorales est une période où les politiciens font sortir tout ce qui leur passe par la tête : des promesses qu’ils ne pourront jamais tenir. A analyser leurs propos, ils ne savent même pas leurs taches, par exemple au parlement. Ils promettent d’être des constructeurs que des parlementaires. Où vont-ils trouver de l’argent pour construire des ponts, des écoles, etc ! Se rendant compte de leurs promesses creuses, la plupart des politiciens ne foulent leurs fiefs électoraux qu’à l’approche des nouvelles échéances électorales. Au lieu d’aller au parlement avec l’idée de défendre les intérêts de la population, la verve oratoire des politiciens sert plutôt aux promesses fallacieuses. C’est pour dire qu’on va au parlement sans un agenda concernant réellement le peuple mais pour défendre, dès l’entrée en fonction, l’augmentation des émoluments des députés. Le discours du politicien africain est un discours mensonger qui ne tient que le temps de le prononcer ; la minute suivante, il est tout autre. Il n’y a qu’à considérer le discours des opposants du hier, gestionnaires de leurs pays aujourd’hui. Ce que l’on reprochait aux autres, on le fait soi-même et même pire qu’eux.
10.  Tu mettras ton intelligence au service du chef
L’Afrique d’aujourd’hui n’est plus celle des années 60 ; il y a une crème intellectuelle considérable. Plusieurs postes de responsabilité sont confiés aux universitaires, parmi lesquels les professeurs d’université. La population africaine se demande si elle n’était pas mieux avec très peu d’intellectuels qu’avec cette pléthore d’intellectuels affameurs du peuple. Ceux qui se sont battu pour les indépendances l’ont fait avec conscience pour l’émancipation de leurs peuples. Aujourd’hui, notre peuple se demande si avant l’indépendance n’égale pas après l’indépendance ! Affirmer ainsi serait certes tomber dans un pessimisme à outrance, mais une telle interrogation n’est pas banale au regard de la situation actuelle de l’Afrique.
L’intellectuel africain met son intelligence au service du Chef pour mieux paupériser le peuple au lieu de le faire sortir de sa situation de misère. C’est, selon moi, une intelligence au service du mal. Toutes les tentatives de révision constitutionnelle dans la plupart des pays africains est l’œuvre de ces intellectuels affameurs du peuple. Leur intelligence sert à pérenniser un seul citoyen au pouvoir et bénéficier ainsi des « faveurs » matériels au grand dam de la population. L’intelligence se prostitue pour assouvir la soif d’une vie aisée – remettant ainsi en question tout le cursus éducatif parcouru depuis l’école primaire jusqu’à l’université.
Le peuple n’a pas tort de dire que ce sont les intellectuels qui détruisent les pays africains ; le comptable sait jongler avec les chiffres pour couvrir les malversations financières, le juriste peut défendre l’indéfendable en utilisant des arguments juridiques, le communicateur peut user sa verve oratoire pour soutenir une cause perdue… Bref, l’intellectuel africain déçoit.

Conclusion
Après toutes ces années d’indépendances et toutes les révolutions de ces dernières années (Perestroïka, printemps arabe, « y en a marre », « dégage »), on aurait pensé que les politiciens africains ont appris la leçon ; le refus de se conformer aux exigences de la démocratie étonne. Le discours des politiciens est que chaque pays a ses propres réalités ; comparaison n’est pas raison, entend-on dire.
Si l’Afrique entend réellement embarquer dans le train de la démocratie, elle ne peut pas inventer ses propres règles en contradiction avec celles de la démocratie telle qu’elle nous vient du monde grec. Il est vrai que la démocratie n’est pas restée statique dans sa conception depuis les origines ; il reste cependant vrai que certains traits sont indispensables pour parler de démocratie. L’Afrique concocte une « macédoine »[1] qui ne ressemble en rien à une démocratie ; c’est ce que j’appelle africanocratie, c’est-à-dire un mode de gouvernance de la polis qui combine les éléments de plusieurs types. Non seulement, les politiciens africains se fourvoient dans leur conception de la démocratie mais ils se laissent aussi entrainés par les pays des vieilles démocraties sur des voies anti-démocratiques.
                                                            
                                                                                         Prof. Okey Mukolmen Willy
                                                                                          Professeur des Universités


[1] Appellation de « salade des fruits » dans certains milieux