samedi 28 décembre 2019

Les nouvelles technologies de l'information et de la communication et la crise des valeurs


        Nous vivons aujourd’hui dans un monde glocalisé, c’est-à-dire un monde où le global devient local et le local devient global. Aliis verbis, le monde dans lequel nous vivons éloigne le proche et rapproche le lointain. Le local s’adapte au global. Nous sommes dans une société marquée par la dialectique du local et du global. Dans cette « exercice de glocalisation », le rôle joué par les NTIC est, à n’en point douter, prépodérant. On peut voir l’histoire de la communication en différentes étapes : langage, écriture, imprimerie (Gutenberg en 1450), téléphone (Graham Bell en 1876), radio (Guglielmo Marconi en 1899), télévision, les multi-média (ex. cinéma) et maintenant les NTIC (Internet, portable, réseaux sociaux). L’imprimerie est venue accélerer l’histoire de la communication. Les NTIC sont devenues des moyens pour accroître les échanges, les flux d’informations et les intéractions sociales et pourquoi pas les flux financiers (par exemple avec le e-commerce, e-banking). On pourrait dire que la communication à distance (télécommunication) rend obsolète les communications  plus socialisées (les communications interpersonnelles traditionnelles). Nous sommes dans une société numérique, une société de l’information, une société en réseaux ; c’est l’affirmation de l’homo numericus.

      Par Technologies de l’information et de la communication, on entend l’ensemble d’outils, services et techniques servant à la création, l’enregistrement, le traitement et la transmission des informations ; tandis que par Nouvelles technologies de l’information et de la communication, on désigne les outils nés du rapprochement de l’informatique, des télécommunications et de l’audiovisuel (les smartphones, les micro-ordinateurs, les tablettes, les Cloud, etc.). La technologie est le moyen tandis que le traitement de l’information et la communication est l’objectif.

      Mais pourquoi Technologies de l’information et de la communication ? Un seul terme ne suffit-il pas ? Karine PHILIPPE nous dit que les termes information et communication connaissent certains flottements. « Dans le sillage de la cybernétique, la théorie de l’information relève de la statistique. Dans l’étude des relations interpersonnelles, la communication implique une certaine réciprocité dans les échanges, là où l’information émise ou reçue, semble plus univoque »[1]. En se référant à Daniel Bougnoux, Karine Philippe considère l’information comme un contenu et la communication comme un contenant, une relation. L’information a besoin de la communication. « Schématiquement, l’information est représentée du côté de la raison, respectant le libre arbitre de chacun, tandis que la communication se situerait du côté de la sensation, dont on soupconne la séduction manipulatrice »[2]. La définition du concept communication est difficile à circonscrire car tout dépend du domaine dans lequel on se trouve (selon qu’on est politique, industriel, informaticien, journaliste ou grand public). Communication peut ainsi signifier transmettre, exprimer, se divertir, aider à vendre, éclairer, représenter, délibérer…

      La communication a connu un tournant décisif aux XIXè et XXè siècles. Mais aujourd’hui, selon Eric Maigret, il y a un désenchantement « avec l’affirmation de théories très réductrices fondées sur l’idée de manipulation mentale par les médias ou de réduction de la communication humaine à la communication machine »[3]. En voyant le thème central de nos journées (Les technologies de l’information et le développement humain. Les interrogations africaines), nous pouvons nous dire que la question majeure est celle de savoir le rôle que jouent les NTIC dans la diffusion des valeurs et des modes de vie. C’est une question qui préoccupe au plus haut point la sociologie des médias et la philosophie morale. Surtout maintenant que l’on parle du « village planétaire », de ce « monde où les moyens de communication permettent d’abolir les frontières et ses différences culturelles »[4], il nous faut nous interroger sur les effets de NTIC sur la vie de nos sociétés africaines. Il est évident que les innovations technologiques dans nos moyens de communication ont une incidence sur nos sociétés. Pour cela, certains « philosophent avec G. Deleuze et traquent les effets de ‘déterritorialisation’ induits par les technologies de communication. La panoplie des concepts jadis forgée par G. Deleuze et Félix Guattari – l’abolition de l’espace et du temps liée à la vitesse acquise par les échanges d’informations, la multiplication  des simulacres que les techniques de numérisation promettent, la constitution de la réalité virtuelle, etc – confère aux technologies nouvelles une dimension philosophique inattendue »[5].

     Les NTIC ont engendré des changements de comportements à grande échelle sur le plan  social, économique, idéologique, éthique… Pour ce faire, le processus d’insertion des NTIC dans la société contemporaine est une des préoccupations des chercheurs de plusieurs domaines : sociologues, économistes, psychologues, journalistes, politicologues, philosophes. Je m’intéresserai au domaine éthique tel que les organisateurs de ces journées me l’ont suggeré car, comme le pense Marshall McLuhan, les médias modifient en profondeur nos sociétés entières et nos modes de vie. L’histoire des NTIC est comme un balancier qui fait alterner dénonciation et apologie dans la description des médias. On dirait qu’avec les NTIC, nous sommes dans une relation de « je t’aime, moi non plus » ; il y a fascination autant qu’il y a effroi. Si la société numérique (digitale) signifie une universalité et une démocratisation de l’accès au savoir et à l’éducation, des liens sociaux et une liberté d’expression confortés, un espace politique revitalisé, elle représeente aussi un monde inégalitaire et sous surveillance, une pensée fragmentée et une culture appauvrie, un individu désorienté et déshumanisé. Cette société recouvre donc des réalités complexes.

      Considérant le cadre de réflexion dans lequel nous nous trouvons et pour laisser plus de temps à l’échange, je vais aborder le sujet me proposé sur deux aspects. Dans un premier temps, je m’attarderai sur l’impact des NTIC dans la vie de nos sociétés aujourd’hui et dans un second moment je vais épingler les défis qu’imposent les NTIC aux valeurs de nos sociétés africaines. Car je considère que si nous nous voulons tirer profit de la multitude de contenus que nous propose les NTIC, nous avons « besoin d’une carte et d’une boussole pour dénicher les trésors et éviter les écueils dont est parsemé cet océan attirant et intimidant à la fois »[6], C’est tout l’enjeu de l’éducation aux nouvelles techniques de l’information et de la communication.

1.      Les NTIC et la société d’aujourd’hui

      A sa naissance, le bébé manifeste sa présence au monde par une communication qui nous fait comprendre qu’il est vivant : un cri. Personne ne sait exactement dire ce que signifie ce premier cri de l’enfant : douleur, colère ou peur d’un nouveau monde ? Il est au moins clair qu’avant l’usage de la parole, l’enfant communique par des cris sa joie, sa peine, ses émotions. Comme nous le savons, la communication peut être « non verbale » : l’expression du visage, la façon de s’habiller… Certaines sciences ont vu le jour pour s’occuper de ce genre de communication. L’américain Ray Birdwhistell a fondé la kinésique (étude de la communication par les mouvements du corps), Edward Hall a fondé la proxémique qui  étudie la gestion par l’individu de son espace et des distances entre personnes dans les processus de communication. Il y a plusieurs types de communications (conversations) : consultation médicale, entretien d’embauche, débat, dialogue entre amis et, aujourd’hui, les communications liées aux technologies nouvelles (dialogue homme – machine, chats, courrier électronique…).

      En rapport avec la manière de communiquer et suivant le modèle d’Auguste Comte, Marshall McLuhan distingue trois âges : âge tribal, âge de l’imprimé et âge électronique. « L’âge tribal se caractérise par l’utilisation de l’oral et par l’immersion dans un monde circulaire où la participation est intense. L’âge de l’imprimé est celui de la rupture avec la dépendance instaurée par la parole, il conduit à la linéarité, à l’introspection et à l’indiviudalisme. L’âge électronique, dans lequel nous entrons, est un retour partiel à une certaine facilité orale, au tribalisme, imposé par l’audiovisuel »[7].

      Eric Maigret fait apparaître l’évolution sémantique du mot communication au XIVè siècle en français et au XVè siècle en anglais. Du latin communicare, on est passé de l’idée de participer à, de communier à celle de transmission et de moyen de passage avec la variété des techniques de relations interindividuelles ou collectives (téléphone, presse). « Le mot communication a pour lui et contre lui le flou d’une expression qui peut être tirée du côté de la valeur ou du côté de la technique : il autorise toutes les appropriations »[8]. La polysémie du terme communication et les divergences profondes d’analyse le concernant viennent de la tension qu’il y a entre raison (vue comme saisie immédiate du vrai, levée des illusions) et technique (vue comme médiation extérieure, efficacité, mais déviation, imagination). Le mot média (médium), quant à lui, « renvoie pour sa part à la mise en relation à distance, sans possibilité  majeure d’interaction entre le récepteur et l’émetteur, c’est-à-dire à un type de communication interindividuelle (échange de face-à-face) et de la communication organisationnelle en petits groupes où le récepteur a une faible capacité de réponse à l’émetteur (…) »[9].

      A la question de savoir pourquoi nous communiquons, Edgard Morin nous dit que nous  communiquons « pour informer, s’informer, connaitre, se connaitre éventuellement, expliquer, s’expliquer, comprendre, se comprendre »[10] . Et Marc Edmond distingue quatre  enjeux qui soustendent la communication : enjeux identitaires (garder face lors d’un débat par exemple), enjeux territoriaux (maintenir une distance pour protéger son espace), enjeux relationnels (rapports hiérarchiques) et enjeux conatifs (dans le sens de vouloir influencer, manipuler ou persuader autrui). Ces enjeux agissent sur les processus de communication et structurent ainsi la relation. « Nous ne communiquons pas seulement pour transmettre ou recevoir des informations, mais aussi parce que nous sommes poussés par certains motifs, désireux d’atteindre certains buts et, plus largement, pour maîtriser certains enjeux psychologiques »[11]. En communiquant, nous voulons aussi défendre notre image, marquer notre territoire, entrer en relation avec autrui et l’influencer. Dans la communication, on fait passer un contenu (informations, opinions, jugements, sentiments, attentes…) et on instaure, plus ou moins directement, une relation avec les interlocuteurs. Tenir l’autre pour un sujet et non pour un objet, c’est ce qui distingue, selon Habermas, l’agir communicationnel d’une simple manipulation.

     Pour Eric Maigret, la communication est un phénomène « naturel », « culturel » et « créatif ». Le niveau naturel ou fonctionnel est le niveau du « Un », de la tautologie, de l’adéquation de la pensée et du monde. Le niveau social ou culturel est celui de Deux (A égale A mais A est différent du B. C’est le niveau de l’expression des identités et des différences, de la délimination des groupes et de leurs relations ; c’est le niveau du dialogue ou de tension non absolue entre les groupes). Le niveau de la créativité est celui du nombre ; c’est le niveau du Trois et de l’infini. A ce niveau, la communication est perçue comme une activité normative, éthique et politique ; il s’agit ainsi d’une relation entre pouvoir, culture et choix démocratique[12].

      Si la communication nous permet d’entrer en relation avec autrui – elle est, à ce titre,  désirée –, elle est aussi quelque chose de redouté par le fait qu’elle crée la peur de l’intrusion d’autrui dans mon territoire personnel, la violation de mon intimité. Dans cette relation à autrui par la communication, chacun des interlocuteurs vise à influencer l’autre, à le convaincre, le commander, le séduire, le menacer ; mais en même temps chacun veut être reconnu dans son individualité, exister aux yeux d’autrui. Il y a un échange entre les interlocuteurs. Dans la demande de reconnaissance se dégagent des besoins identitaires d’existence et de considération, d’intégration, de valorisation, de contrôle, d’individuation. C’est ainsi que Marc Edmond relève 3 notions fondamentales dans la communication : du côté de l’émetteur, il y a anticipation (c’est-à-dire le locuteur opère une sorte de « calcul anticipatif » de ce qui peut être dit en intégrant sa façon de percevoir et de situer l’interlocuteur) ; du côté du message, il y a un compromis (entre un mouvement expressif – qui pousse à dire – et un mouvement répressif – qui pousse à se taire et contrôler ses propos –, c’est l’inhibition, la censure, le non-dit) ; du côté du récepteur, il y a un processus d’interprétation. Et « l’interprétation est une opération d’évalutation égocentrée, c’est-à-dire d’attribution de signification et d’intentions en fonction des motivations profondes du récepteur »[13].

      Nous sommes dans nouvelle ère, celle de la société numérique. Par rapport au passé, on peut parler de rupture, de révolution, de mutuation ou d’évolution. Quelque soit la terminologie, la réalité est que la société est entrée, sans conteste, dans une période où l’empreinte numérique est de plus en plus profonde. C’est la miniaturisation du monde. Avec les NTIC sont apparues des nouvelles façons d’agir, d’être et de penser. « Qu’il s’agisse de l’accès à l’information, de l’organisation des savoirs, des rapports à l’espace et au temps, des expériences de sociablité, de formes de communication, des modalités de recherche et de lecture, de la participation au débat public, de la gestion de sa vie privée…, des changements indéniables sont observables »[14].

      Le XXIe siècle voit se développer vertigineusement les réseaux sociaux grâce au large réseau mondial (www = World Wide Web, inventé par l’ingenieur anglais Tim Berners-Lee), l’internet. Si déjà la telévision est un objet de conflit mais aussi d’échange, le téléphone portable – par ses différentes formes et applications – est un outil de contôle, d’échange  mais aussi d’autonomie. On vit séparément mais ensemble. En ce moment là, les pourfendeurs des NTIC considèrent que ces dernières exacerbent l’individualisme et tue le lien social. Mais internet donne aussi de la voix aux sans voix. En effet, « internet constitue une revolution relationnel aussi, tant les timides peuvent oser là ce qu’ils ne se permettraient pas dans la vraie vie. Sur le net, ils sont affranchis du regard d’autrui et libérés de la pesanteur de ces corps dont ils ne savaient que faire avant. Désormais protégés par l’écran, l’anonymat du pseudo et l’absence des corps, bien loin des lieux de représentation sociale, les âmes seules peuvent se permettre toutes les audaces »[15]. Les NTIC permettent l’interactivité entre les personnes. La vitesse et la réactivité instaurent une temporalité de l’immediateté et de l’instantanéité. « Elle est une des explications du succès des technologies numériques car elle facilite leur appropriation et crée un lien entre le média et l’individu qui devient actif. Elle renouvelle la notion de participation et en permet un usage fortement personnalisé »[16]. Internet est percu comme une infrasctructure qui transporte et fait circuler des données sans interventios d’une quelconque institution ou des modifications de celles-ci (données). Cest donc un principe de neutralité qui garantit l’accès à tous les contenus, services et applications des données qui ne tient compte ni de l’émetteur ni de l’utilisateur, encore moins de genre de données.

      Grâce aux NTIC, le monde est devenu un village planétaire sur le plan technique. On ne peut en dire autant sur le plan social, culturel ou politique. Loin d’un rapprochement, les NTIC nous révèlent plutôt l’hétérogéneité des systèmes de valeurs. L’autre, réalité lointaine avant les NTIC, est devenu une réalité avec laquelle il faut cohabiter. L’abondance d’informations sur les différences culturelles complique tout. Cette situation nouvelle, du lointain devenu proche, impose de réfléchir sur les conditions d’une cohabitation entre les identités culturelles. Aujourd’hui, nous sommes dans un frottement généralisé des identités culturelles qui nous portent vers un sentiment de dépossession, de perte de repères. Ainsi, Dominique Wolton propose une cohabitation culturelle qui serait ainsi une égalité des cultures ; toutes les cultures seraient respectées sans hiérarchisation des identités culturelles[17].

      Dans les sociétés démocratiques, les NTIC constituent un fait communicationnel le plus original et le plus déterminant. Il n’y a qu’à considérer l’utilisation des réseaux sociaux dans les élections américaines par exemple. Les NTIC deviennent une vraie courroie de transmission de messages de campagne électorale. Au Congo par exemple, les résultats des élections de décembre 2019 pouvaient être suivis en temps réel avant le blocage de tout le système internet. Les NTIC sont considérées dans les pays démocratiques comme les canaux visibles de la liberté d’expression. On dit ce que l’on pense (Mr Trump est le champion de cela via son compte Twitter).

      Les NTIC nous plongent dans une sociabilité profondément renouvellée car elles sont, in fine, des technologies de rencontre d’autant plus que bien souvent la plupart des terminaux se prêtent à la communication. Nous sommes en face d’une diversification des modalités inédites de mise en contact et d’échanges. La relation, la présence à l’autre et les manières d’établir, de gérer et de renforcer les liens de sociablité sont modifiées. Peut-on déterminer avec certitude l’impact de ces changements sur la qualité du lien social ? On se rend compte d’une médiation croissante des contacts par les outils de communication ; la sociabilité devient « instrumentée ». Ce qui entraine une stagnation ou, mieux, une baisse des situations de face-à-face et consacre un type de sociablité électronique. D’où le risque d’une désindividuation. Avec la sociabilité médiatisée, on vit sous le régime de la connexion continue assurant une forme de permanence du lien. Cette « présence connectée » prend appui sur la multiplication des dispositifs de communication et de leur mobilité et est adoptée surtout avec les proches et les intimes. Le problème est, cependant, qu’elle s’attache au lien lui-même et à la manifestation de son existence, plus qu’au contenu de l’échange. La sociabilité médiatisée est phatique. Il y a danger que cela nuise à la profondeur de l’investissement dans la relation[18].

      L’importance et l’influence des NTIC sur les sociétés actuelles n’est donc plus à démontrer. Lassweel, par exemple, parle de hypodermic needle (seringue ou aiguille hypodermique) pour désigner l’influence que subissent les audiences passives suite à la « communication de masse ». On peut aller dans le sens de la Théorie Critique (Adorno et Horkeheimer) qui considèrent que les médias jouent le même rôle que la religion chez Marx ; ils sont le nouvel opium du peuple. On parle de Net-addiction. Ceci peut aboutir à une paresse intellectuelle pour les chercheurs qui risquent de tomber dans le plagiat ; ce qui poserait le problème de droit d’auteurs.

      La nouvelle société, celle numérique, est caractérisée par la dématérialisation et le virtuel. « Le virtuel s’impose donc comme une forme d’expérience du réel tout à fait étonnante. Il ne peut être assigné à aucune coordonnée spatio-temporelle, il n’est fixé à aucun lieu ou moment précis, et en ce sens, son mode d’existence est nomade. Il brouille les frontières et les délimitations strictes du réel, l’intérieur et l’extérieur s’interpénètrent, le rapport de la sphère privée à la sphère publique se modifie »[19]. Avec la numérisation, les contenus (textes, images ou sons) endossent une nouvelle matérialité. On parle de dématérialisation. Cela provoque une accélération de la vitesse de transmission, un détachement de tout point d’ancrage spatio-temporel, une augmentation des capacités de stockage. Ceci a pour conséquence : une accumulation documentaire  diversifiée, une facilité d’accès, un affranchissement de contraintes de lieu, d’heure ou de delai, une rapidité et une vitesse du débit de transmission, une compression des données, une mobilité des données grâce à la portabilité de celles-ci, une meilleure qualité (comparé à l’analogique), l’interopérabilité (les applications communiquent et interagissent entre eux)[20].

      Devant l’ampleur du monde des NTIC, nous oscillons entre  fascination et d’effroi. Sur le versant « fascination », avec la société numérique, il y a ouverture, liberté et accessibilité à l’information et au savoir pour tous ; le monde à venir sera plus égalitaire et plus coopératif. Elle nous affranchit des contraintes spatiotemporelles et de l’emprise de tutelles comme les institutions en même temps qu’elle permet la libre circulation, la mise à disposition d’une quantité de ressources colossale. La créativité est encouragée, des nouveaux réseaux de sociabilité se constituent et la démocratie évolue vers un modèle plus parcitipatif et intéractif. Dans ce sens, les NTIC deviennent un instrument de lutte contre l’exclusion sociale (infoexclusion et cyberexclusion). Sur le versant « effroi », la société digitale est suspectée de créer des addictions à la connexion permanente, aux univers virtuels ; du fait de la médiation technique, les communications et les échanges deviennent sommaires et leurs contenus peu fiables, sinon dangereux. On pense aussi qu’elle (société numérique) fragilise les libertés individuelles et sonne le glas de la vie privée parce que les possibilités de surveillance à distance s’accroissent[21].

      Avec les NTIC, nous pouvons énumérer certaines caractéristiques : l’affirmation d’un principe participatif, un partage et une liberté de parole renforcés, l’essor de modalités de coopértion inédites. Il est évident qu’aujourd’hui les idées de participation, d’interaction et de partage deviennent des pilliers fondateurs de la société numérique. On en est droit de dire que le Web est devenu une plateforme participative qui incite à une démocratisation de l’expression publique et à une intensification des échanges. C’est l’ouverture de l’espace médiatique et l’émergence d’un journalisme participatif qui met fin au monopole de la diffusion de l’information par les journalistes professionnels. Et dans le sens de partage et de liberté d’expression, le site de micro-blogging, Twitter, créé en avril 2006, a été conçu pour rester en contact avec un réseau d’amis en échangeant des brefs messages en temps réel. « L’innovation à base coopérative intègre trois catégories d’acteurs, le groupe restreint des innovateurs, une masse conséquente de contributeurs qui les confortent par la force de leur implication, des réformateurs qui interviennent sur le dispositif technique pour le perfectionner »[22] (le cas de Wikipédia lancé en 2001 par Jimmy Wales et Larry Singer).

      Les NTIC permettent une communication entre les personnes. Il est évident alors que, pour parler Karl Otto Appel, toute communauté qui argumente présuppose des normes éthiques ; toute communication est normative ; elle voit dans l’autre un alter ego envers qui j’ai une responsabilité et pour qui je dois avoir du respect. « Bien compris, les médias sont une source inépuisable d’apports, de loisirs, de connaissance, d’ouverture sur le monde et sur les autres. Mal utilisés, ils peuvent se révéler dangereux, vecteurs d’images et de paroles blessantes, pertubantes, sources de comportements addictifs »[23].

      Les NTIC offrent des nouvelles, si pas des manières originales de se livrer au regard de l’autre, de nouer des liens et de s’exprimer. Les thèmes abordés et les espaces d’échange deviennent inattendus par le fait que les activités de différentes natures se mêlent et que les fromtières entre le réel et le virtuel sont difficiles à saisir. Personne n’est cependant dupe du risque d’effets préjudiciables découlant des contenus du nouvel environnement de l’information et de la communication. Il y a des comportements qui peuvent nuire au bien-être physique, affectif et psychologique des esprits vulnérables, tel que la pornographie en ligne, la pédopornographie, la représentation et la glorification de la violence sur autrui ou sur soi-même, les propos humiliants, disciminatoires ou racistes ou l’apologie de tels propos, la sollicitation (l’approche), l’intimidation, la persécution et d’autres forme de harcèlement… Conscient de ce risque, le Conseil de l’Europe, par exemple recommande que les Etats membres développent « une statégie cohérente pour ‘l’infocompétence’ et pour la formation à l’information qui conduira à une autonomisation des enfants et de leurs éducateurs, afin qu’ils utilisent au mieux les services et les technologies de l’information et de la communication… »[24]. Il s’avère nécessaire de savoir comment s’orienter et accéder à des éléments pertinents dans cette somme incommensurable, protéiforme et éclatée.

      Malgré la poussée des NTIC, il sied donc de relever qu’il y a, comme le dit si bien Isabelle Compiègne, une fracture numérique entre les gens – étant donné que l’accès à l’univers numérique et à tout ce qu’il offre présuppose un capital économique, social et culturel. Ce qui n’est pas l’affaire de tous. « A l’encontre de la promesse d’être une nouvelle agora numérque, Internet ne favorise pas nécessairement le débat public. Effectivement, dans le cyberespace, l’invective peut se substituer  à l’argumentation rationnelle, la multiplication et la fragmentation des opinions l’emportent quelques fois, les participants ne sont pas toujours dans une position égalitaire… Les dangers sont réels d’un émiettement de l’espace public et d’un repli communautaire »[25].

      Les NTIC et la crise des valeurs

      Au début du XXè siècle, les réflexions sur les médias sont réglées sur un discours apocalytique ou pathologique. « Le discours sur les effets supposés des médias de masse sur les comportements individuels emprunte la forme de ‘paniques morales’ ou celle du béhaviorisme. Il s’agit dans le premier cas de dénoncer l’influence néfaste des médias sur les populations, conçue comme mimétique (les médias répandent la violence, le mauvais goût, la révolte ou la soumission), dans le second d’analyser de façon clinique l’influence subie à travers la notion de stimulus »[26]. La peur que suscitent les médias de masse (tv, radio, internet…) est justifiable. Il y a risque de massification pouvant déboucher sur un assujetissement, un endoctrinement des individus – avec possibilité de dérives psychiques et collectives. La conséquence serait un caractère moutonnier, vulgaire et irresponsable. On dénonce alors les effets des médias sur des groupes vulnérables, supposés les incarner par leur consommation. Ceux qui font l’apologie des médias ce sont des professionnels de la communication, des ingénieurs, des technocrates, des instituts de sondage et des prospectives, des chercheurs. Tandis que ceux qui étudient et critiquent les effets sont par exemple les psychologues, les philosophes…

      Pour les pourfendeurs des médias, ces derniers façonnent les idées des individus malgré eux, les manipulent. Cela a un effet d’hypnose. Eric Maigret fait remonter les origines de la peur des effets des médias déjà dans la République de Platon où Socrate pense expluser les poètes de la Cité parce que leurs histoires peuvent abuser les plus jeunes. Ce sont des illusions loin de la réalité. « Depuis Socrate et Platon, le camp de l’idéalisme regroupe tous ceux qui estiment que les hommes doivent se libérer des conditions concrètes d’expression de la pensée, convaincus que l’esprit est un dialogue avec lui-même et avec les autres esprits au sein d’une communauté de raison, et qu’il se dégrade dans tout ce qui le matérialise comme autant d’ersatz de parole authentique (Socrate refuse ainsi d’utiliser l’écrit pour exprimer sa pensée) »[27] . Chaque média, au moment de sa popularité, a toujours été jugé pervers (radio, télévision, cinéma, bande déssinée, jeux vidéo, internet). Nous devons nous rendre compte d’un besoin des clés de décryptage pouvant nous aider à dissocier le vrai du faux, le réel du fictif. Faute de quoi, les esprits faibles se verraient dans une attitude de banalisation du mal, du sexe et une familiarisation avec la violence et l’exaltation des antivaleurs.

      La perspective d’un cybermonde généralisé alimente autant d’espoirs que de craintes de nombreuses personnes de perdre tout contact humain direct. A l’heure d’internet et du virtuel, que devient notre rapport à l’espace physique, se demande Alain Rallet. Notre monde aujourd’hui est dual (virtuel et physique). Un bouquet de fleurs peut être physique ou virtuel ; l’argent peut être des billets qu’on peut toucher ou une monnaie virtuelle ; votre interlocuteur peut être une personne physique ou personne virtuelle. La dématérialisation et le virtuel sont donc deux caractéristiques de la société numérique.

      Aujourd’hui, le problème de la communication c’est celui de la tension entre raison et  technique ou, mieux entre les outils de transmission de l’information et les enjeux normatifs à partager là où l’on recherche une raison partagée, une plénitude liée à l’échange. « Quand l’homme crée et utilise des objets techniques, il quitte le domaine de la nature, celui des objets sans vie, pour celui de la culture. La technique ne s’apprécie que comme modification de la nature, elle est déjà un problème social, malgré ses dimensions fonctionnelles »[28]. Avec le flux d’informations à sa dispostion, l’homme peut se retrouver dans la difficulté de gestion d’une information devenue pléthorique, c’est l’infobésité.

      Avec l’essor des médias de masse s’est produite une révolution dans les relations  sociales : le déclin de l’autorité traditionnelle (dans le couple, la famille, l’école, l’entreprise …). Maintenant tout passe par la concertation, l’écoute, la négociation, la discussion, l’échange, bref la « communication ». Mais malgré la puissance de la technique et les vertus de la démocratisation, la communication totale et transparente est une utopie ; c’est un leurre. La communication n’est jamais totalement neutre et sans ombre, car « la communication est souvent à sens unique ou dissymétrique, les enjeux implicites brouillent les échanges et interdisent de tout dire, les messages sont souvent ambigus, le récepteur jamais totalement réceptif… »[29]. Dortier nous dit autrement que « la communication limpide et transparente est un mythe. Les messages sont souvent ambivalents, le récepteur sélectionne les données et les véritables enjeux sont souvent cachés »[30]. L’information que l’on reçoit est toujours déjà filtrée, décodée, sélectionnée, réinterpretée selon les intérêts et les préoccupations du récepteur. Les messages des médias sont des « constructions », des « représentations » de la réalité et non le simple reflet de celle-ci ; ils expriment les points de vue de celui qui parle ou au nom de qui il parle. On parle alors de la non-transparence des médias. Ces messages ne sont donc pas neutres, objectifs, impartiaux.

      Parmi les problèmes que posent les flux d’informations sur la toîle, on peut noter : le déluge informationnel, l’infobésité, la Tour de Babel, des pratiques comme le téléchargement illégal, les échanges pair à pair, la présence de contenus illicites à la portée de tous, la pédophilie, le terrorisme ou encore la cybercriminalité. Et pour faire face à ceci, on peut être tenté de développer alors une approche protectionniste et repressive pouvant amener à une limitation de l’accès à l’information. Les détracteurs des solutions juridiques de filtrage recusent la batterie de mesures y afférante comme de moyen de contrôle envahissants visant la réduction des libertés individuelles et mettant en péril le principe de neutralité du Net[31].

      Le premier obstacle pouvant biaiser une bonne communication ou mieux, une intercompréhension, c’est le vocabulaire ; pour le simple fait que les propos que nous tenons sont souvent polysémiques. Avec les NTIC, on peut se demander sur l’anticipation, le compromis et l’interpétation que nous suggère Edmond Marc dans toute communication. Le locuteur (l’internaute) opère-t-il un calcul anticipatif tenant vraiment en compte la situation de l’interlocuteur ? Y-a-t-il un compromis dans le message (ce commerce entre le mouvement expressif et le mouvement repressif) ? Y-a-t-il un vrai processus d’interprétation du message de la part du récepteur ou le message est-il reçu dans son état brut ?

      Un autre des problèmes que posent les NTIC c’est « la bataille entre les partisans de la liberté d’expression et les avocats d’une plus grande protection de la vie privée »[32]. Cette liberté peut aller trop loin et se transformer en cyberbullying. Combien des jeunes adolescents se sont suicidés à cause des attaques, sur internet, de leurs camarades de classe, de quartier ! « Vivant sous le régime tyrannique de l’immédiateté, soumis au culte de l’urgence, avec le besoin d’être sans cesse relié, l’homo numericus est aspiré dans une spirale dont il est difficile de s’échapper. Dans cette dictature de l’instantanéité, cet homme sous emprise est engagé dans une interactivité presque continue. Cela rend problématiques à la fois son autonomie et une construction de soi solide tant la disponibilité permamente, la nécessité de constamment répondre au plus vite, l’impératif de réactivité, oppressent plus qu’ils ne libèrent et détournent d’une certaine présence à soi-même. De plus, cette situation paraît compromettre son engagement durable dans une relation avec les autres. Dans une société où dominent labilité et flexibilité, privés de temps et de durée, vivant des échanges brefs et éphémères, les individus veraient leur capacité à ressentir des sentiments diminuée »[33].

      Un problème connexe au précédent, c’est la cybercriminalité, qui contribue à la restriction de la liberté d’expression par l’accentuation de la capacité de contrôle des citoyens par certains pays. La liberté d’expression se retrouve limitée par exemple par la coupure intempestive de l’internet dans des pays à tendance dictatoriale.

      On vit ensemble séparément. Par exemple la télévision familiale devient source de conflit entre hommes et femmes, parents et enfants. D’où la multiplicité de télévisions dans les familles qui peuvent se le permettre. Le téléphone portable s’inscrit dans le cadre de l’individualisation de la communication. Ce téléphone personnel permet en effet, lui aussi, de vivre ensemble mais séparément. Les jeunes s’autonomisent par rapport à la cellule familiale ; ils y vivent tout en étant ailleurs. Les communautés religieuses ne sont pas en reste. Le temps de la vie communautaire se voit infectée par la maladie du net. La communication est plus avec ceux qui sont loin physiquement qu’avec ceux qui sont présents physiquement. C’est le contraste entre les absents-présents et les présents-absents.

      On peut dire avec regret que les NTIC ont amené une sociabilité désincarnée où tout se vit à distance, virtuellement et dans l’anonymat. « Bardés d’écrans et de pseudos, libérés de matérialité du corps, chacun est délesté de marqueurs sociaux et psychologiques encombrants et affranchi des contraintes de l’identité »[34]. L’écran est devenu un paravent encourageant les plus timides et les plus complexés. Les communautés virtuelles se multiplient ; elles développent des communications interactives de tous à tous à partir d’un intérêt ou d’un objectif commun. L’appartenance à une communauté virtuelle est liée au partage de valeurs. Ces communautés instaurent une sociabilité ouverte et déterritorialisée. C’est, pourrait-on dire, le paradoxe de l’union dans l’isolement et d’une expérience réelle mais virtuelle.

      Il est évident aujourd’hui, par exemple, que la sociabilité des jeunes entre eux, construite dans le cadre scolaire ou  académique, prend le dessus sur la sociabilité de la famille. Les confidences, surtout pour des sujets tabous et sensibles, se font plus entre pairs qu’avec les parents ou les membres de la famille. L’amitié, les relations avec les pairs sont les valeurs phares de la sociabliité numérique à l’ère du numérique. Les relations amicales prennent une place prépodérante dans la définition identitaire des jeunes.

      Internet est devenu le premier vecteur des adultères numériques. C’est le temps de la sexualité orale, c’est-à-dire parlée ; c’est le moment des fantasmes. Des inconnus deviennent intimes, tombent amoureux virtuellement, se séduisent sans se connaître. Il y a là une réconfiguration du statut social et philosophique de la relation. Alors que traditionnellement la relation, à fortiori amoureuse, se fondait sur la rencontre des corps – et c’est alors que tout commencait -, la toîle renverse les choses – on commence de l’intérieur[35]. Ce sont des relations virtuelles intimes. On parle ainsi de la télésexualité. Célibaitaires et mariés se retrouvent dans cette réalité. Les femmes recherchent souvent l’amour tandis que les hommes les aventures rapides. 

      Contrairement à Bernard Cathelat qui pense que la publicité offre à la société un spectacle plus inventif et plus riche de formes et de fonds, Guy Debord dénonce « un monde aliéné ou ‘fétichisme de la marchandise’, engagé dans un processus de ‘fabrication ininterrompue de pseudo-besoins’. De ce point de vue, l’image publicitaire ne serait que l’instrument d’aliénation et de décervelage des individus au service d’une quête incessante de croissance des profits »[36].  La publicité manipule l’opinion avec l’idée de créer chez les gens des nouveaux besoins. L’internet vient donner à la publicité un cadre plus étendu de manipulation de l’opinion publique.

      Si l’on s’accorde à trouver dans les NTIC une plus grande ouverture à la liberté d’expression, il nous faut aussi relever des conduites et des pratiques qui fragilisent les libertés individuelles ; ily a une propension à l’exposition de soi et la banalisation de la divulgation des données. La transparence s’est accrue avec la libre circulation des idées et la fin de l’opacité et du règne du secret. « Toutefois, en mettant en pleine lumière, voire en disqualifiant, ce qui est de l’ordre du caché, de l’intime et de l’intériorité, cette transparence risque d’être liberticide. Effectivement, dans une société où les données les plus personnelles sont visibles et à la portée de tous, la sphère privée se réduit, la perméabilité est manifeste entre celle-ci et la vie publique »[37]. Parmi les technologies numériques de surveillance, on peut citer les techniques biométriques qui, grâce à l’identification et la localisation à distance, rendent réalisable une tracabilité générale.

      Le pouvoir de surveillance s’amplifie avec l’interconnexion dépendant de la triple révolution technologique combinant l’électronique, l’informatique et les télécommunications. Cette surveillance n’est pas seulement celle des Etats sur les citoyens ; elle est devenue aussi horizontale : une surveillance par le bas, la « soussurveillance » où tout est surveillé par tout le monde. La surveillance n’est plus seulement institutionnelle mais interpersonnelle (parents-enfants, amis, conjoints, voisins, collègues… Il y a donc porosité des frontières entre vie privée et vie publique. Non seulement des excès de certaines conduites libertaires, mais il ya aussi risques de dérive totalitaire, mettant en péril l’intimité, la vie privée et les libertés individuelles tendant à l’impossibilité d’effacer son passé ou de se déconnecter.

      Dans les situtations de guerre, les NTIC deviennent des véritables moyens de contrôle et manipulation de l’opinion publique. C’est le mensonge d’Etat. Les Etats qui ont des moyens techniques les plus sophistiqués manipulent l’opinion internationale ou se permettent de brouiller les communications des autres Etats. On peut dire avec Bourdieu que « la culture et les médias sont des espaces contigus où s’exprime une domination sociale, celle des plus dotés en ‘capital linguistique’ et en ‘capital culturel’ (pourquoi pas en ‘capital technologique ! C’est moi qui ajoute), à l’égard des moins dotés, les dépossédés »[38] . La guerre d’Irak est un cas probant de cette manipulation de l’opinion internationale par les américains (Colin Powell et l’administration Bush) grâce à une présentation mensongère sophistiquée des armes de destruction massive que possederait Saddam Hussein.

     Le rôle joué par les NTIC dans la mondialisation est considéré par beaucoup comme étant celui d’être au service des intérêts capitalistes ; elles servent alors à véhiculer les idées et la culture des puissants capitalistes, selon la thèse marxiste du reflet. C’est tout le sens de la glocalisation (néologisme né au Japon) ; on s’efforce d’ajuster l’offre selon la qualité de la clientèle locale. Les tendances globales sont alliées aux tendances locales dans le cadre d’une économie mondialisée. Grâce à la glocalisation, et par l’utilisation des NTIC, les multinationales ont su trouver des statégies pour « localiser » leurs produits. La publicité du même produit s’adapte au milieu dans lequel il est vendu.  

      Le danger qui nous guette, si nous ne prenons garde, c’est la perte de soi. « La menace majeure est que, par refus d’une réalité sociale vécue comme trop contraignante ou désespérante et désir d’échapper à une image de soi décevante, l’individu s’enferme dans ces univers et s’y perde. L’évasion dans une myriade de soi virtuels, ‘ l’enfermement virtuel’, ou l’absorption dans un ensemble communautaire, ‘l’enfermement téticulaire’, sont des manifestations de cette perte de soi. Le retranchement derrière des masques peut aussi induire la perspective de relâchements, d’abus, d’agissements illicites, un évanuoissement de la responsabilité à cause justement de l’état d’anonymat et du brouillage de l’identité »[39].

Conclusion

      Avec l’apparition de l’homo numericus, il y a évolution des comportements, de la personnalité, des manières d’être et de sentir. « Joignable à chaque instant, gérant des situations tout en restant chez toi, l’homo numericus est de plus en plus affranchi des contraintes temporelles et spatiales et inscrit dans de nouvelles temporalités »[40]. Les technologies mobiles sont des bons alliés pour cela. Une chance est donnée à chacun d’échanger sans peur d’une stigmatisation.

      Au-delà des cultures qui composent le monde aujourd’hui, on peut s’interrroger du rôle des médias dans la construction du « monde commun » et dans la vie de l’ensemble de la société. Face aux NTIC, les positions sont aussi passionnées qu’ambivalentes. Autrement dit, la société numérique a un potentiel ambivalent d’émancipation et de surveillance ; elle favorise à la fois le flux, l’entrelacement, la liaison et l’enserrement, le contrôle. D’un côté on dénonce l’asservissement des masses et de l’autre on y voit un idéal communautaire. Avec les NTIC, la mondialisation se voit bien servie mais les sociologues de l’école de Francfort (Théodore W. Adorno et Herbert Marcuse) y voient un instrument au service de l’hégémonie de l’idéologie capitaliste dominante ; les médias anesthésient le public sous un flot d’informations (infobésité), engendrant une « perte de réalité ». Du côté de l’idéal communautaire, on peut penser au rêve humaniste du citoyen du monde du « village planétaire » de Marshall McLuhan. Pour ce dernier, la communication abolit les frontières. En ce temps postmoderne, il faudrait chercher à vanter les mérites du métissage, de l’interculturalité, de la différence au lieu de valoriser une seule culture (scientifique, occidentale), car toute culture est une interprétation du monde. Pour ne pas tomber, grâce aux NTIC, dans une mondialisastion nivellante (l’occidenalisation du monde) et rouleau compresseur, nous devons valoriser les sagesses fondamentales de nos cultures et civilisations.

      Dominique Wolton, quant à lui, voit dans les médias les garants de la démocratie. Le développement de l’internet suscite l’espoir d’une solidarité planétaire en même temps qu’il fait redouter une uniformisation culturelle ou même une dissolution du lien social dans une multitude de micro-communuautés virtuelles. On ne peut cependant nier qu’il y a un mépris intellectuel vis-à-vis des NTIC, de ces médias de masse, tenant compte de la préoccupation que l’on a à l’égard des effets (néfastes !) sur les populations ou à cause de l’idée selon laquelle « les industries culturelles » sont des courroies de transmission de l’idéologie dominante. C’est l’occidentalisation ou, mieux, l’américanisation du monde. La génération digitale est exposée à deux dangers : la cyberaddiction et la cybercriminalité.

      Si l’on doit parler de la crise des valeurs par rapport aux NTIC, il sied aussi d’en relativiser l’essor ; car, comme le constate Karine Philippe, « un homme sur cinq ne sait ni lire ni écrire, et la moitié de la population mondiale n’a pas le téléphone »[41]. C’est dans ce sens qu’Alain Rallet pense que les idées communément admises, selon lesquelles « les réseaux de communication à distance remettraient en cause les relations de proximité, permettraient de télétravailler, bouleverseraient l’organisation du territoire »[42], sont infirmées par la réalité.

      Contre ceux qui pense par exemple qu’il y a un rapport entre violence et médias en argumentant souvent que ce dernier  alimentent la violence, Eric Maigret pense que rien ne permet d’établir une relation statistique entre médias et violence ; car « le Japon est le pays des jeux vidéos de combats et des nangas, bandes dessinées souvent critiquées pour leur violence extrême, mais il est aussi l’un des pays où le nombre de viols et de meurtres est le plus faible au monde »[43] . Qui dit mieux !
      Devant l’emprise de NTIC, il nous faudrait des formes de « défense » et de « filtre » pour ne pas être envahis sans ménagement. Nous devons être conscients du risque d’affaiblissement des valeurs collectives de nos sociétés. La question qui doit guider notre approche devra être celle de savoir, comme le dit Pungi Lino, comment faire que les NTIC soient plus Pentecôte que Tour de Babel, plus ruche d’abeilles, plus termitière qu’une caverne de vampires.

Prof. Dr. OKEY Mukolmen Willy, cp
Professeur des Universités




[1] K. PHILIPPE, « Les sciences de l’information et la communication » in P. CABIN et J.-F. DORTIER (dir.), La communication, 3ème édition actualisée, Auxerre, Sciences Humaines, 2008, p. 78.
[2] Ibid.
[3] E. MAIGRET, Sociologie de la communication et des médias, 3è édition, Paris, Armand Colin, 2015, p. 5.
[4] J.-F. DORTIER, « La communication : omniprésente, nais toujours imparfaite » in P. CABIN et J.-F. DORTIER (dir.), La communication, op. cit., p. 9.
[5] J.-M. BEGNIER, « Les figures actuelles de la pensée » in J.-F. DORTIER (dir.), Philosophies de notre temps, Auxerre, Sciences humaines, 2000, p. 74.
[6] EUROMEDUC cité par J. PUNGI Lino, Eduquer aux médias à l’ère de l’internet. Repères théoriques et pistes d’action en R.D. Congo, Kinshasa, Medi@ction, 2013, p. 4.
[7] E. MAIGRET, Sociologie de la communication et des médias, op.cit., p. 96.
[8] Ibid., p. 24.
[9] E. MAIGRET, La sociologie de la communication et des médias, op. cit., p. 24.
[10] E. MORIN, « L’enjeu humain de la communication » in P. CABIN et J.-F. DORTIER (dir.), La communication, op. cit., p. 21.
[11] E.-M. LIPIANSKY, « Pour une psychologie de la communication » in P. CABIN et J.-F. DORTIER (dir.), La communication, op. cit., p. 44.
[12] Cf. E. MAIGRET, Sociologie de la communication et des médias, op. cit., p. 7.
[13] E. MARC, « Pour une psychologie de la communication », op. cit., p. 52.
[14] I. COMPIEGNE, Isabelle, La société numérique en question (s), Auxerre, Sciences Humaines, 2011, p. 6.
[15] P. LADERLLIER, « Le Net sentimental » in P. CABIN et J.-F. DORTIER (dir.), La communication, op. cit.,  p. 335.
[16] I. COMPIEGNE, La société numérique en question (s), op. cit., p. 15.
[17] Cf. S. ALLEMAND, « Pour une cohabitation…culturelle » P. CABIN et J.-F. DORTIER (dir.), La communication, op. cit, p. 345 – 346.
[18] Cf. I. COMPIEGNE, La société numérique en question (s), op.cit., p. 33-35.
[19] I. COMPIEGNE, La société numérique en questio (s), op. cit., p. 15.
[20] Ibid., p. 24.
[21] Cf. ibid., p. 13.
[22] I. COMPIEGNE,  La société numérique en question (s), op. cit., p. 50.
[23] A.VINCENT-DERAY cité par J. PUNGI Lino, Eduquer aux médias à l’ère de l’internet. Repères théoriques et pistes d’action en R.D. Congo, op. cit., p. 15.
[24] CONSEIL D’EUROPE cité par Ibid., p. 107.  
[25] I. COMPIEGNE, La société numérique en question (s), op.cit., p.57.
[26] E. MAIGRET, Sociologie de la communication et des médias, op. cit., p. 10.
[27] Ibid., p. 23.
[28] E. MAIGRET, Sociologie de la communication et des médias, op. cit., p. 5.
[29] J.-F. DORTIER, « La communication : omniprésente, nais toujours imparfaite » in P. CABIN et J.-F. DORTIER (dir.), La communication, op. cit., p. 13.
[30] Ibid., p. 5.
[31] Cf. I. COMPIEGNE, La société numérique en question (s), op.cit., p. 26.
[32] S. ALLEMAND, « Internet : le pouvoir de l’imagination. A propos du livre de Manuel Castells La Galaxie Internet » in P. CABIN et J.-F. DORTIER (dir.), La communication, op. cit., p. 321.
[33] I. COMPIEGNE, La société numérique en question (s), op.cit., p. 68.
[34] Ibid., p. 35.
[35] Cf. P. LARDELLIER, « Le Net sentimental » in P. CABIN et J.-F. DORTIER (dir.), La communication, op. cit., p. 336.
[36] V. TROGER, « La publicité entre manipulation et création » in P. CABIN et J.-F. DORTIER (dir.), La communication, op. cit., p. 259.  
[37] I. COMPIEGNE, Isabelle, La société numérique en question (s), op. cit., p.75.
[38] E. MAIGRET, Sociologie de la communication et des médias, op. cit., p. 123.
[39] I. COMPIEGNE, Isabelle, La société numérique en question (s), op. cit., p. 67.
[40] I. COMPIEGNE, Isabelle, La société numérique en question (s), op. cit., p. 60.
[41] K. PHILIPPE, « Les sciences de l’information et de la communication » in P. CABIN et J.-F. DORTIER (dir.), La communication, op. cit., p. 81.
[42] A. RALLET, « Communication à distance : au-delà des mythes » in P. CABIN et J.-F. DORTIER (dir.), La communication, op. cit., 2008, p. 307.
[43] E. MAIGRET, Sociologie de la communication et des médias, op. cit., p. 51.