dimanche 23 octobre 2022

 

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET QUESTIONS ETHIQUES

                Nous sommes tous citoyens de Digitalis, le pays qui compte plus de quatre milliards d’habitants. Tous nous sommes embarqués, sans notre consentement, dans ce pays de la digitalisation. L’homme serait ainsi appelé à la progression vers des choses plus grandes, à dominer sur les choses et, on se rend compte, sur l’homme lui-même. Le souci est celui de rendre notre vie sur terre plus aisée. Ce souci d’améliorer les conditions de vie, qui anime l’homme de tout temps, entraîne avec lui des problèmes éthiques sur l’agir de l’homme car une telle ambition peut se révéler dangereuse à certains égards. La neutralité de la technoscience en matière de moralité des actes humains pose donc problème. L’homme se retrouve pris au piège entre la fascination pour un nouveau mode d’être qu’apporte la technologie et la peur de la fin de l’Humanité qui pourrait en résulter.

      Avec l’avancée de la technoscience, le naturel et l’artificiel se côtoient. Des questions se posent alors du point de vue juridique, du point de vue éthique, du point de vue économique, du point de vue éducationnel… Autrement dit, la révolution technologique bouleverse notre quotidien sur tous les plans, Nous sommes submergés au plan moral, politique, juridique, comportemental, et j’en passe.

      Devant l’inéluctabilité du développement de l’intelligence artificielle, 193 Etats viennent de mettre en place un cadre juridique, propice à un déploiement sain de la technologie, en signant le 25 Novembre 2021 un accord de recommandation sur l’éthique de l’IA. A l’occasion de cette signature, Audrey Azoulay, la Directrice générale de l’UNESCO, déclarait que « le monde a besoin de règles pour que l’intelligence artificielle profite à l’humanité et la Recommandation sur l’éthique de l’IA est une réponse forte ». 

Notre propos, comme l’indique si bien notre intitulé, retiendra l’aspect éthique de ce mariage entre l’homme et l’intelligence artificielle. Une société sans normes devient une société dangereuse et peut conduire à son autodestruction. C’est pourquoi le recours à l’éthique s’avère une nécessité, car, pour paraphraser le titre d’un de mes articles, nous devons nous ouvrir à l’intelligence artificielle pour ne pas mourir. Mais à quel prix ?

Nous articulerons notre texte autour de deux thèmes : dans un premier temps nous parlerons de l’Intelligence Artificielle et, dans un second moment, nous aborderons quelques problèmes éthiques que pose cette intelligence.

I.                   L’intelligence Artificielle

Le terme Intelligence Artificielle (IA) est une invention, en 1956, de John McCarthy, Marwin Minsky, Nicolas Rochester et Claude Shannon de Darmouth College dans le New Hampshire (Etats Unis). Pour eux, et encore aujourd’hui, cette expression est employée « pour désigner la discipline informatique qui vise à fabriquer des machines simulant une à une les différentes fonctions de l’intelligence »[1] ; autrement dit, cette terminologie désigne les sciences et les technologies qui permettent de simuler l’intelligence humaine au moyen des machines. On part du principe selon lequel « toutes les facultés cognitives, en particulier le raisonnement, le calcul, la perception, la mémorisation, voire même la découverte scientifique ou la créativité artistique, pourraient être décrites avec une précision telle qu’elle devrait être possible de les reproduire à l’aide d’un ordinateur »[2]. Dans le langage courant, l’intelligence artificielle comprend les dispositifs imitant ou remplaçant l’homme dans certaines mises en œuvre de ses fonctions cognitives.

Il faut cependant signaler que c’est déjà en 1936 qu’Alan Turing a inventé cette intelligence par le pont qu’il établit entre une formalisation mathématique du calcul et les automates à états finis (les ordinateurs). « L’intelligence artificielle ne vise aucunement à destituer l’homme de son privilège de penser, pour lui substituer une machine pensante. Elle ne bâtit que des théâtres imaginaires, où se meuvent des personnages chimériques dotés d’aptitudes partielles. Elle n’est qu’une intelligence fabriquée au moyen des techniques informatiques ; autrement dit, elle n’est qu’une ‘intelligence artificielle’ »[3].

Certains considèrent l’Intelligence Artificielle comme des prothèses qui pallient aux déficiences de notre intelligence. Aujourd’hui, l’Intelligence Artificielle  est omniprésente dans notre vie. Grâce aux automates, nos agendas sont gérés, nos courriers électroniques sont filtrés, on peut suivre l’évolution de son compte Mpesa, on peut être prévenu de l’imminence d’un accident à cause de l’inattention au volant, on peut arriver à destination même si c’est pour la première fois qu’on y va, le pilote peut se reposer en mettant son avion en mode pilotage automatique, les fautes de frappe peuvent être corrigées, on peut passer de la parole à l’écriture sans toucher au clavier de son ordinateur ou smartphone, le véhicule peut s’immobiliser pour éviter un accident grâce à l’ABS – le système de freinage automatique, etc. En parlant de l’Intelligence Artificielle, on pense à « la reproduction, au moyen des machines, des différentes fonctions de notre entendement, comme la capacité de parler, de lire, de comprendre, de calculer, de raisonner »[4] (pensons par exemple au dialogue entre un voyageur et sa compagnie d’aviation pour savoir si le vol sera à l’heure. On dialogue avec une machine qui vous répond avec exactitude. Encore faut-il une bonne prononciation). Les consoles, les jeux vidéos, le progrès de la robotique sont une expression claire du développement de l’Intelligence Artificielle.

L’intelligence artificielle recouvre de manière effective deux domaines très larges : la perception et la cognition. Du point de vue de la perception, les avancées ont été significatives en rapport avec la reconnaissance vocale et la reconnaissance d’images ; tandis qu’en ce qui concerne la cognition, les avancées concernent le machine learning (on peut par exemple identifier vos intérêts à partir de vos recherches sur internet).

Dans ce nouveau monde algorithmique, on pense que l’Intelligence Artificielle a un rôle très limité (une simple aide à la décision) et qu’en aucun cas elle ne pourra remplacer l’être humain, son créateur. Les moteurs d’intelligence artificielle sont conçus et développés par des humains. De ce fait, leurs instructions devraient demeurer « explicables ». C’est ainsi que  Mohamed Mansouri trouve qu’il serait même impropre de parler d’intelligence artificielle d’autant plus qu’il s’agit d’une simple fonctionnalité car cela sème de la confusion entre l’intelligence des personnes qui l’ont créée et celle portée par les outils. Partant de l’étymologie, le terme intelligence (Inter et ligere) renvoie à la faculté de lier des situations entre elles. « L’intelligence, c’est aussi ‘réagir avec discernement face à des situations nouvelles, tirer profit de circonstances fortuites, discerner le sens de messages ambigus ou contradictoires, trouver des similitudes entre des situations malgré leurs différences, trouver de nouvelles idées’, donc créer de la nouveauté »[5]. Mais l’IA ne crée pas, elle exécute les combinaisons des algorithmes. La question qui nous hante est celle de savoir si le progrès réalisé dans ce domaine ne se fait pas au détriment des valeurs éthiques.

D’une part on considère que les technologies des automates sont fiables pour un bon rendement, d’autre part on se rend compte aussi des disfonctionnements de ces automates. La faute est alors attribuée à l’homme dans un défaut de communication réussie entre lui et la machine. « Trop rapides, elles nous fourvoient ; trop lentes, elles nous ennuient, notre rythme n’est pas la leur. Nous interprétons mal les informations qu’elles nous fournissent ; et mal informés, nous les commandons mal »[6]. Devant l’évolution de l’intelligence artificielle, l’homme est pris en étau entre fascination et effroi. Pour ceux qui vivent la peur au ventre, l’intelligence artificielle est une réalité fantasme qui risque de nous amener à une troisième guerre mondiale – tant la compétition pour la supériorité de l’intelligence artificielle se joue au plan international entre les nations. « Les chercheurs du Facebook AI Research Lab (PAIR) ont été contraints de désactiver un moteur d’IA après avoir constaté que ses agents conversationnels avaient créé leur propre et unique langage que les humains ne pouvaient comprendre »[7]. L’IA utilise les données mises à sa disposition. L’inexactitude de celles-ci ne peut que se refléter dans les décisions de l’intelligence artificielle. « Les systèmes de machine learning les plus sophistiqués peuvent parfois s’avérer de véritables boîtes noires, à tel point que les éditeurs des solutions eux-mêmes peinent parfois à expliquer correctement la raison d’une décision d’IA »[8].

A la peur que peut engendrer l’évolution rapide de la technologie digitale, Geerts montre plutôt un optimiste étonnant. Selon lui, « la technologie aura bien être omniprésente, elle le sera en arrière-plan et davantage dans un rôle de soutien, ce qui sera positif pour notre santé (mentale). (…) Nous devrions aboutir à une sorte d’augmented humanity : les gens seront capables de se surpasser et deviendront donc plus humains grâce à la technologie. (…) Internet fonctionnera comme un ‘cerveau externe’, et des algorithmes nous faciliteront la vie. La technologie nous déchargera de tâches inutiles afin que nous disposions de plus de temps pour les choses essentielles »[9].

Grâce à la digitalisation et à l’Intelligence Artificielle, la connaissance est devenue bon marché. Le monde digital permet aujourd’hui la collaboration et l’échange de plus d’informations internationalement (Wikipédia est un exemple éloquent). Il suffit d’un clic pour apprendre beaucoup de choses sans avoir à débourser des milliers des dollars, euros ou francs congolais. Aujourd’hui, le smartphone est un appareil all-in-one, c’est-à-dire il est un téléphone, un dictaphone, un GPS, un appareil de photo, une caméra pour les vidéos, un agenda, une encyclopédie, une vidéothèque, etc., Cela réduit énormément le nombre de choses que l’on pouvait avoir entre les mains et le coût que cela représenterait si on achetait toutes ces choses séparément. Et pour Thierry Geerts, l’homo digitalis vivra dans un monde meilleur que celui d’avant. Cela se remarquera surtout dans le domaine de la santé grâce à l’intelligence artificielle car les algorithmes seront un outil supplémentaire pour les médecins en de diagnostics plus précis.

Ce qui est au moins sûr c’est que l’homo sapiens est mort ; il a laissé la place à l’homo digitalis. La crise du coronavirus a montré que plusieurs activités pouvaient se faire de manière digitale : communication avec les membres de la famille, Visio conférence pour des réunions de travail, télétravail, cours à distance, e-commerce (commerce en ligne), opérations bancaires en ligne. Du point de vue environnemental, la « sédentarisation » forcée des personnes a permis la réduction de la pollution car le nombre des véhicules et d’avions en circulation a baissé, des milliers d’arbres ont été épargnés de la coupe en termes de tonnes des papiers qui pouvaient être imprimés, des milliers d’hectolitres de carburant ont été épargnés – malheur aux économies des pays producteurs du bois, du carburant ou autre.

Pour Geerts, la solution à la problématique climatique et environnementale c’est plus de technologie. Car cette dernière nous aidera à lutter contre le gaspillage des matières premières par le fait que les appareils intelligents sont plus économiques et durent plus longtemps. Par exemple le passage des lampes incandescentes au LED permet d’éclairer de manière aussi précise que possible en calculant la quantité de lumière nécessaire pour une salle ; le CD vont disparaître pour laisser la place à l’achat de la musique à un service de streaming ; les voitures autonomes consomment moins de carburant[10]. L’impact écologique de la dématérialisation n’est plus à démontrer (moins de livres en dur, plus de bobines des films, des journaux, des cassettes vidéos…).

      Nous pouvons dire qu’aucun secteur d’activité n’est épargné par la montée en puissance de l’intelligence artificielle.  Cette intelligence artificielle a  des avantages du fait qu’elle est au service de l’homme et, de ce fait, facilite l’action de l’homme dans certaines circonstances.  Elle a plusieurs avantages mais aussi des inconvénients qui touchent aux mœurs, à l’éthique qui est une discipline philosophique portant sur les jugements moraux. Cette nouvelle technologie apporte donc des nouveaux défis. Nous relevons ici quelques problèmes éthiques en crise suite à l’utilisation  de l’intelligence artificielle.

II.                Intelligence artificielle et questions éthiques.

Des éminents scientifiques alertent sur le danger que l’intelligence artificielle fait courir à l’humanité toute entière. C’est le cas de Stephen Hawking, Stuart Russell, Max Tegmark et Frank Wilczek. Pour eux, « nous atteindrons très bientôt un point de non-retour au-delà duquel nous irons inéluctablement à notre perte sans jamais pouvoir revenir en arrière. Aujourd'hui, il est temps ; demain, plus rien ne sera possible »[11]. C’est dans ce même sens que Jean-Gabriel Ganascia abonde quand il dit que « l’intelligence artificielle constitue un danger inéluctable pour l’humanité »[12]. On peut ainsi comprendre le revirement de Sébastien Vaas qui a quitté le monde du virtuel dans lequel il était pourtant bien plongé comme programmateur pour revenir à la vie réelle. Il exprime le danger du virtuel, surtout dans le domaine de l’internet, dans son livre L’enfer du virtuel. La communication naturelle pour sortir de l’isolement technologique publié aux éditions L’âge d’homme en 2009.

L’arrivée de l’intelligence artificielle et des robots fait peur : la peur de perdre notre emploi au profit d’un cyborg, la peur de voir notre langue et notre culture disparaître, la peur que l’Etat se transforme en Big Brother. C’est l’incertitude de l’avenir qui alimente ces peurs. « Nos craintes sont révélatrices de ce qui compte pour nous : besoin de sens, respect de la vie privée, environnement, langue et culture, etc. »[13].

a.       Le contrôle du comportement humain. Par l’intelligence artificielle, on veut contrôler le psychisme de l’homme. Google, par exemple, est intéressé par la maîtrise des cerveaux. On considère que la courbe du progrès sera exponentielle et non pas linéaire et qu’on peut transférer le cerveau biologique à un ordinateur. En allant plus loin, avec les nanotechnologies, on pourrait faire un travail de copier-coller en éliminant l’ADN par la transmission des nouveaux caractères génétiques (on choisirait alors des bébés sous catalogues). L’idée de l’amélioration de la capacité, de l’efficacité et du rendement intellectuel de l’homme peut nous laisser tomber dans la programmation de l’homme comme on le ferait pour toute autre machine. La crainte c’est d’enlever à l’homme sa naturalité, son inventivité pour en faire un produit de la technologie. Le danger est que progressivement des nombreuses décisions seront prises automatiquement à notre place. Ainsi un clic mal fait peut se révéler néfaste car le retour à la situation antérieure devient presqu’impossible si l’on n’est pas expert. Nous devons reconnaître la complexité de la nature de l’homme ; elle ne se réduit pas au seul organisme qu’est le cerveau. Le cerveau manipule des symboles et pas des données ; il apprend, se développe et s’auto-façonne physiquement. Alors que l’Intelligence Artificielle est numérisé, le cerveau humain ne l’est pas.

b.      L’homme n’est pas Dieu. Il doit reconnaître sa place. Jean-Gabriel Ganascia parle de la rationalité animiste qui se retrouve à côté de la rationalité scientifique. Nous pouvons penser ici au transhumanisme. Ce dernier pense que l’évolution a été jusqu’à présent le fruit du hasard et de la nécessité et que la nature a fait un travail médiocre puisque nous sommes vulnérables aux maladies. Il faudrait maintenant prendre en charge l’évolution de l’homme grâce au progrès de la technologie vers une post-humanité. L’idée c’est de changer, par la technique, la condition humaine pour : 1. Permettre un vieillissement sain (l’homme pourra décider combien de temps il veut vivre sur la terre); 2. Doter l’homme des capacités nouvelles (biologiques ou intellectuelles). On créerait ainsi un cyborg, c’est-à-dire un homme hybride entre l’homme naturel et l’Intelligence Artificielle. Il s’agit d’un homme augmenté  ou d’un homme réparé (amélioré) ; 3. Tuer la mort comme but ultime du transhumanisme.

Dans la logique du transhumanisme, l’idée c’est de créer une éternité terrestre, l’avènement d’un monde sans fin. Dans ce sens, on ne laisserait pas venir au monde des nouveaux nés présentant des déficiences et on ne laisserait pas évoluer ceux qui ont des problèmes de santé. Où commence l’augmentation et où commence la réparation (la restauration d’une fonction endommagé pour retrouver l’équilibre)? La limite est difficile à établir[14]. L’accaparement de la nature par la technique nous couperait de toute transcendance.

c.       Du point de vue écologique, Hans Jonas relevait déjà des problèmes éthiques avec l’avènement de la technologie (Cf son livre Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique). D’où ses impératifs pour une éthique du futur. La technoscience, et surtout aujourd’hui avec l’intelligence artificielle, perturbe non seulement ce qui entoure l’homme mais aussi et surtout l’agir même de l’homme.

d.      S’il est vrai que l’Intelligence Artificielle peut aider à pallier à certaines déficiences cognitives, il va sans dire que ceci peut rendre l’homme très dépendant. Pensons à la difficulté que beaucoup éprouvent pour le calcul mental même pour des petits chiffres. Il s’agit là de l’infantilisation des hommes par la diminution de la capacité de penser par eux-mêmes (la machine fait le travail) ; c’est un affaiblissement de la réflexion chez les utilisateurs. La réflexion devient une affaire des experts.

e.       Un autre problème qui vient avec l’intelligence artificielle c’est celui du chômage de milliers de citoyens dans le monde. Nous avons les robots dans plusieurs pays, surtout en occident, qui travaillent à la place de l’homme, surtout dans des grandes industries ; comme conséquence, le chômage s’installe et l’homme devient de plus en plus inutile. Le travail que dix personnes feraient en plusieurs heures, un seul robot le fait en peu de temps et de manière plus efficace. Ces machines plongent l’homme dans la paresse en lui offrant plus de temps libre. Plus l’homme est libre, plus il crée d’autres situations autour de lui ; l’homme du 21 siècle veut de plus en plus explorer le monde et dépasser son créateur en voulant, grâce à l’intelligence artificielle créer des choses extraordinaires qui, dans plusieurs cas, se retournent contre l’homme et le détruise. L’irruption du coronavirus, qui paralyse le monde aujourd’hui, est un exemple.  

f.       Nous avons le problème de l’utilisation des poupées sexuelles pour les hommes. Un tel objet sexuel, imitant le corps humain, permet de pratiquer une masturbation.  La plupart des poupées sont des mannequins représentant le corps d’une femme, et sont destinées à un public masculin. Cette pratique, on le dira jamais assez, est contre nature et contre la moralité qui estime que l’acte sexuel ne peut être consommé que par les êtres humains, hommes et femmes hormis les animaux. Le fait de fabriquer les poupées sexuelles diminuent la chance de mariage et renchérit la solitude. Or l’homme est un être social, il a besoin des autres pour son plein épanouissement et non des êtres artificiels qui ne lui procurent que des plaisirs éphémères. La socialisation devient impossible. C’est pareil pour le robot masculin à la disposition du public féminin ; ceci est contre-nature et rend les femmes tournées vers elles-mêmes.

g.      La pire des choses c’est que l’homme a tendance à attribuer à ces machines une personnalité (une âme, un esprit) en faisant comme si elles avaient des intentions, des connaissances, des émotions. En tout cas, comme le dit Ganascia, « les machines fabriquées par l’Intelligence Artificielle ne possèdent pas par elles-mêmes, la capacité de prendre le pouvoir sur l’espèce humaine et de la réduire à l’esclavage ; d’ailleurs, pour se prémunir de leurs dangers, il suffit de les débrancher »[15]. Mais cette proposition de débrancher les automates quand nous percevons le danger de notre propre perte et destruction devient sans objet si l’on considère les possibilités des automates biologiques employant des macromolécules recombinantes ou la mise en place des nanotechnologies. Nous avons déjà vu des films fictions où l’homme ne  sait plus maîtriser le robot qu’il a lui-même fabriqué. Le temps qu’il met à chercher comment détruire le monstre qu’il a créé devient aussi un temps de destruction de l’humanité. Ces fictions ne sont pas loin de devenir des réalités. Noël Imbert Bouchard nous dit que « le transhumanisme pose un problème anthropologique fondamental. Pour la première fois de son histoire, l’homme pourrait s’affranchir de sa propre nature, de son histoire, de sa culture. Au lieu de subir son évolution, il deviendrait le producteur de celle-ci jusqu’à disparaître en tant que tel. Le sommet de son évolution serait en quelque sorte d’avoir produit sa disparition. Virtualisé, il ne serait plus qu’un programme indifférencié au service d’autres programmes. Babel enfin réalisé ! »[16]

h.      Certains pensent même qu’il faut accorder une personnalité juridique à des « personnes électroniques » pour leur garantir des droits et des devoirs. C’est ce que propose par exemple Mady Delvaux, une élue européenne, au parlement européen. Elle considère que parler des droits des animaux devrait nous amener à parler des droits de la personne aux robots automates en raison de leurs facultés à prendre des décisions. Là se pose la question de la frontière de l’humanité. Cette revendication des droits des personnes électroniques se fait au nom des principes généreux d’équité et de respect de tout et de tous[17].

i.        Mansouri pense que l’usage abusif, et d’ailleurs volontairement entretenue, de l’expression « intelligence artificielle » engendre un problème de loyauté à deux niveaux : à l’égard du public, puisqu’il créé une fracture entre les attentes du public et la réalité ; et entre professionnels par le fait que certains acteurs de cette technologie en font un usage indu au détriment d’autres[18]. Aux consommateurs, grâce à un matraquage publicitaire, on fait miroiter des choses qui sont loin de la réalité ; les professionnels entre eux se livrent une lutte  acharnée pour gagner le plus de monde possible. « L’IA a généré beaucoup d’attentes irréalistes. Nous voyons quantité de business plan affublés de références au machine learning, aux réseaux neuronaux (…) très éloignées de leurs réelles capacités »[19]. Le mensonge gagne du terrain dans la publicité de l’intelligence artificielle. Dans le dialogue entre les marques et les consommateurs, ces derniers doivent être considérés comme des partenaires et non des simples cibles.

Grâce aux mégadonnées que regorge internet, le consommateur potentiel d’un produit  est connu et ciblé par l’intelligence artificielle. On voit un consommateur potentiel mais il n’est pas tenu compte par exemple de ses capacités psychiques, de ses antécédents judiciaires ; ce n’est pas un partenaire mais plutôt une cible plus ou moins consciente des traitements effectués de ses propres données.

C’est pourquoi, comme le dit Mansouri, « pour éviter les dérives (…), il faut dès à présent encourager l’établissement de lignes directrices qui permettraient d’éviter ce type de ciblage malheureux »[20].

        J. L’Intelligence Artificielle pose le problème des libertés individuelles. Le stockage en ligne des informations sensibles pose des sérieuses questions du respect de la vie privée et même de la sécurité. Digitalis est un pays merveilleux mais qui pose le problème de la vie privée. On veut contrôler tous les faits et gestes de l’ensemble des citoyens. Pour les défenseurs de l’IA, il s’agit là d’une crainte inutile. Mais ils concèdent qu’il faut mettre en place une réglementation stricte et efficace pour la protection de la vie privée. L’IA est une technologie capable d’accomplir des tâches humaines grâce à des algorithmes. Mais il faut donner à ces algorithmes des informations de qualité (par exemple en ce qui concerne l’interprétation d’images) pour obtenir des résultats de qualité. Certains innocents se sont retrouvés en prison alors que les vrais criminels se la coulent douce. C’est dans ce sens que la recommandation de l’UNESCO interdit de la notation sociale et de la surveillance de masse parce qu’on considère que ces technologies sont très invasives et portent atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales.           

Conclusion

      L’intelligence artificielle fait partie de notre vie quotidienne, chez nous et au travail. Elle se cache dans nos Smartphones, nos ordinateurs et nos objets connectés pour, certes, nous simplifier la vie. Avec nos téléphones portatifs, notamment avec l’utilisation des réseaux sociaux, toutes les mœurs morales sont foulées aux pieds ; tout est devenu relatif et normal : les images obscènes, les vidéos pornographiques, la médisance, les fausses informations sont devenues très virales sur la toile publique…

      La digitalisation a un impact sur tout et tout le monde. Mais il ne fait l’ombre d’aucun doute que ce sont les êtres humains qui sont à l’origine de la mise en place des combinaisons algorithmiques aboutissant à ce que nous appelons, à tort ou à raison, Intelligence Artificielle. Il y va de leur responsabilité « d’en conserver le contrôle, d’en garantir la transparence algorithmique, de traiter de manière responsable les données qui lui sont injectées »[21]. Il faut donc apprivoiser la technologie. C’est dans ce sens qu’abonde Thierry Geerts : « En soi, les technologies sont neutres. Elles offrent des opportunités, mais recèlent aussi des dangers. C’est la manière dont nous les utilisons, dont nous nous informons, dont nous dépassons nos peurs et même dont nous prenons notre vie en main qui fait la différence »[22]. Une chose est sûre : la technologie de l’Intelligence Artificielle n’a pas la capacité de jugement ni un esprit critique ; les algorithmes ne remplacent pas les humains. Malgré l’évolution de l’Intelligence artificielle, il reste tout de même des spécificités humaines que la technologie ne pourra pas enlever à l’homme : la créativité, l’empathie, la contextualisation.

      Terminons notre propos en soulignant avec l’UNESCO que l’Intelligence Artificielle a prouvé sa grande capacité à faire le bien. Cependant, il faut contrôler ses effets négatifs. Les avancées dans ce domaine doivent respecter l’état de droit. D’où notre insistance sur notre sens de responsabilité pour un bien vivre ensemble harmonieux.

                                                                                                                   

Prof. OKEY WILLY, cp

Professeur Ordinaire

Usakin



[1] J-G. GANASCIA, Intelligence artificielle. Vers une domination programmée ?, Paris, Cavalier Bleu, 2017. (Idées reçues).  Texte en ligne consulté le 24 Novembre 2021.

[2] Ibid.

[3][3] J-G. GANASCIA, Intelligence artificielle. Vers une domination programmée ?, op.cit.

[4] Ibid.

[5] M. MANSOURI, « L’intelligence artificielle et la publicité : quelle éthique ? » in Enjeux numériques, n.1 (Mars 2018, p.58. 

[6] J-G. GANASCIA, Intelligence artificielle. Vers une domination programmée ?, op.cit.

[7] M. MANSOURI, « L’intelligence artificielle et la publicité : quelle éthique ? », op.cit., p.53.

[8] Ibid., p.57.

[9] T. GEERTS, Homo digitalis. Comment la digitalisation nous rend plus humains, s.l.., Lannoo, p. 13.

[10] Cf. T. GEERTS, Homo digitalis, op.cit., p. 112 – 114.

[11]M. MANSOURI, « L’intelligence artificielle et la publicité : quelle éthique ? », op.cit., p. 53.

[12] J-G. GANASCIA, Intelligence artificielle. Vers une domination programmée ?, op.cit.

[13] T. GEERTS, Homo digitalis, op.cit., p. 13.

[14] On peut suivre avec intérêt la conférence de Noël Imbert BOUCHARD, Le transhumanisme et les spiritualités sur YouTube.

[15] J-G. GANASCIA, Intelligence artificielle. Vers une domination programmée ?, op.cit.

[16] N. IMBERT-BOUCHARD, « Penser le transhumanisme est un impératif » in www.fede.education visité le 3 décembre 2021.

[17] Cf. J-G. GANASCIA, Intelligence artificielle. Vers une domination programmée ?, op.cit.

[18] Cf. M. MANSOURI, « L’intelligence artificielle et la publicité… », op.cit., p. 54.

[19] Ibid.

[20] Ibid., p.56.

[21] M. MANSOURI, L’intelligence artificielle et la publicité, op.cit., p. 58.

[22] T. GEERTS, Homo digitalis, op. cit., p. 13.

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